Le revoilà en mer Rouge égyptienne et c’est plutôt une bonne chose. Mais qui donc ? Pas le touriste, non. Mais un squale mythique : le longimanus ou requin longimane. Fréquemment observé au début des années 2000, ce requin océanique avait quasi disparu des radars. Pour mieux revenir ? Il semble bien que oui.
Novembre 2016. Un mois idéal pour effectuer, sur un des navires de nos amis d’Alysés Plongée, une croisière BDE. Soit Brothers, Daedalus et Elphinstone, des initiales de trois récifs réputés de mer Rouge car situés au large des côtes égyptiennes, et donc préservés. À cette période, les conditions sont, en effet, propices. Si l’omniprésent vent de nord voit sa force à la baisse, les chances de rencontrer différentes espèces de requins sont, elles, à la hausse. Quant à la tiédeur l’eau, elle se maintient. Bref, du bonheur en perspective.
Seule ombre au tableau : le longimanus. Ce splendide requin, que nous avions détaillé dans un précédent numéro n’est plus vraiment au rendez-vous. Et ce, depuis quelques temps déjà. Alors que la croisière avance, et que les sites s’enchaînent, voilà ce constat bousculé. Car, surprise, plongées après plongées, plusieurs spécimens de requins océaniques sont croisés. Des rencontres régulières sous le bateau ainsi que la nuit, depuis le pont. Des plus profondes aussi, à l’occasion, vers 30 mètres de fond. Jusqu’à l’apothéose visuelle lorsque, sur le plateau nord de Daedalus, un longimanus vient se glisser, à – 40 m, dans le banc de marteaux halicornes …
Profitant de la présence à bord de Steven Surina, nous menons l’enquête sur cet apparent retour de l’animal. Cet expert ès-requin partage notamment son expérience à travers son association Shark Education. Il est également un fin connaisseur de la mer Rouge, avec plusieurs milliers d’immersions et quelques centaines de croisières à son actif, un témoin privilégié et compétent donc. Il nous explique que ce retour du requin océanique en Égypte est récent, datant de fin 2015. Progressif également, puisqu’il a été observé tout d’abord sur ses sites de prédilection, ces fameuses îles du large, Brothers, Daedalus et Elphinstone, que l’animal fréquente lors de son rassemblement annuel, de fin juillet à décembre. Puis les rencontres se sont étendues : des récifs des Fury Shoal, jusqu’à l’intérieur du lagon de Shaab Sataya, à Zabargad et Rocky Island. Elles se sont faites aussi plus au nord : à Sharm el Sheik, à Hurghada et même au-dessus de l’épave du Thistlegorm !
Pour aider à l’analyse du phénomène, un mot sur l’association Red Sea Shark. Grâce à son programme participatif, le Longimanus project, elle dispose d’un système d’enregistrement des différents spécimens de requins océaniques. L’association en a ainsi dénombré plus de 600 depuis 2002. Il était logique de penser que les individus observés en nombre en 2015 et 2016 sur les sites de plongée, avaient été déjà précédemment signalés. ” À notre grande stupéfaction, précise Steven Surina, aucun requin signalé ces deux dernières années ne correspond à un spécimen identifié, c’est-à-dire déjà présent dans la base de données du Longimanus project. La plupart d’entre eux sont d’ailleurs de jeunes requins, mâles et femelles, mesurant rarement plus de 2 mètres. Il est à noter néanmoins que la fin 2016 a vu l’arrivée de requins plus imposants, de 2,5 m à 3 m, en particulier autour du récif de Daedalus. ”
Estimer l’âge d’un longimane est relativement simple car c’est le requin pélagique qui a la croissance la moins rapide. À la différence des requins soyeux (Carcharhinus falciformis) qui peuvent atteindre 2,5 m dès 5 ans, les requins océaniques grandissent autour de leur nageoire dorsale. Si cette dernière est proportionnellement grande par rapport au reste du corps, alors le requin est jeune. Inversement, si la nageoire est correctement proportionnée, alors il aura atteint sa taille adulte, son espérance de vie étant au maximum de 17 ans. Ces observations sur leur taille, et donc leur âge, soulignent surtout un point important : on ne peut à proprement parler de « retour du longimanus » puisque les squales croisés sont de jeunes inconnus, c’est-à-dire nouveaux.
La disparition des longimanus de mer Rouge était considérée comme une conséquence directe des pêches orchestrées par les autorités égyptiennes afin de réguler leur population en réponse aux attaques de baigneurs de 2009 et 2010. Une explication plausible, puisque c’est effectivement à la suite de ces pêches que les requins avaient quasi disparu des eaux côtières. Un constat qui semble d’autant plus pertinent que les longimanes vus à l’époque étaient des adultes, avec une majorité de femelles sexuellement matures ou pleines selon la saison. Mais si les squales ont été presque tous éliminés, comment alors expliquer ce renouveau de l’espèce ? Notre expert a sa petite idée : « Ma théorie est que nous venons de traverser un cycle naturel de renouvellement des populations. Des études ont démontré qu’une fois après avoir mis bas, les femelles quittent la zone pour ne pas s’en prendre aux petits, ni rentrer en compétition avec eux pour un même territoire. Elles partent alors vers le grand large pour se nourrir »
Ainsi, les longimanes fréquenteraient la zone côtière, s’y reproduiraient puis, à des périodes plus ou moins régulières, s’en éloigneraient pour laisser la place aux jeunes et leur permettre de grandir sereinement. Sans connaissance sérieuse en absence de toute étude scientifique à ce jour, l’hypothèse d’un tel cycle séduit. D’ailleurs, il y a un précédent : si, il y a dix ou quinze ans, observer des requins océaniques était fréquent près des récifs de mer Rouge, cela l’était moins une vingtaine d’années auparavant. Ce qui est certain, c’est que les nombreux individus croisés récemment sont des jeunes et que l’on a donc affaire à une nouvelle génération. En corollaire, le fait que l’on rencontre dorénavant autant de juvéniles est peut-être le résultat de l’importante baisse de fréquentation touristique due à une situation géopolitique délicate qui perdure. Peu dérangés, subissant nettement moins de nuisances de la part de l’homme qu’auparavant, les animaux s’enhardiraient précocement. Même si une telle explication n’est qu’une extrapolation hypothétique, leur présence est, elle, parfaitement réelle. Pour le plongeur, c’est le point le plus important et l’assurance de croiser pour la première fois ou à nouveau la route d’un requin au comportement unique. Il n’y a qu’à voir les images en slow motion capturées fin 2016 par l’équipe du projet Requiem pour s’en convaincre…
Texte : Olivier Clot-Faybesse
Photos : Fabrice Dudenhofer
Vidéo : Projet Requiem