Depuis toujours, François Sarano prend des notes, dessine. Au retour de chaque plongée, et parfois même en profitant des paliers, équipé d’une tablette immergeable, il croque en quelques traits des attitudes, des paysages, y ajoute une question, un mot, qui viendront nourrir ensuite sa réflexion. « Au tout début, explique-t-il, je n’écrivais que quelques lignes, dans le minuscule espace qu’offraient les carnets de plongée ». Mais très vite, le petit rectangle de la rubrique observations ne lui suffit plus, et François se met à écrire et à dessiner en grand format. Il continue à dessiner sous l’eau, à noter profil, espèces, configuration des lieux, et les reporte ensuite sur des pages de cahier. Peu à peu, et particulièrement à partir du milieu des années 80, alors qu’il parcourt le monde à bord de la Calypso, les carnets s’enrichissent.
Photos et croquis se complètent
« Je ne suis pas un dessinateur, se défend François, mais le dessin a une valeur de témoignage particulière, il est capable de fixer un détail, une attitude, que la photo parfois ne laisse pas transparaître ». Et c’est ce qui fait toute la richesse des illustrations du livre, un mélange permanent de photos, dont certaines comme celle de la couverture ont déjà fait le tour du monde, et de croquis. Chaque dessin est accompagné par un texte retranscrit qui raconte, au moment de la sortie de l’eau, l’émotion de l’instant. Puis il met en perspective cette analyse à chaud avec ce que l’on sait de plus aujourd’hui, avec l’évolution de l’espèce, du lieu. En se posant une question : qu’est-ce que cette plongée nous a apporté à l’époque, et qu’est-ce que cela veut dire aujourd’hui ?
Notre rapport aux océans a changé
Ces gros carnets constituent un témoignage unique sur 40 ans d’aventures sous-marines, au jour le jour. Au gré de ses voyages, il en a perdu quelques uns, mais l’essentiel est intact. Et parmi des milliers de pages, il a sélectionné en tout une cinquantaine de plongées. Il n’a pas forcément choisi les plus spectaculaires, mais plutôt celles qui apportaient quelque chose à son propos, qui montraient comment, en quelques décennies, notre rapport au monde sous-marin a changé. Celles qui nous donnent à réfléchir.
Des lieux où la vie foisonne
Mais attention, le livre de François est tout sauf nostalgique. Il ne s’agit certainement pas pour lui de regretter une époque, et encore moins de sombrer dans le pessimisme. Et, c’est le propos de la première partie, le foisonnement de la vie océane est une réalité dans de nombreuses régions du monde, où rien n’a bougé, où la frénésie qui s’empare des êtres vivants est la même qu’au premier jour, loin de toute empreinte humaine.
L’océan blessé
Il nous donne aussi à voir, ailleurs, les océans blessés, les dérives des activités humaines, qu’il s’agisse de l’explosion de la pêche des ailerons de requins dans les années 90 ou des modifications liées aux conséquences du changement climatique. « Par exemple, se souvient-il, dans les années 70 du côté de Sausset, des thons rouges nous accompagnaient au palier et nous leur jetions à peine un regard. Comment aurions nous pu penser que l’espèce, 40 ans plus tard, aurait besoin d’être protégée ? »
Mille questions
Plongeur mais avant tout océanographe, il nous pose mille questions. En partant toujours du particulier, de l’anecdotique, du détail, il nous entraîne à réfléchir « plus large ». Il s’interroge sur ce que l’on sait des comportements animaliers, sur ce que l’on doit encore en apprendre. Il s’émerveille, comme par exemple devant les orques, lorsque les mères apprennent à leurs petits, patiemment et inlassablement, à s’échouer sur les grèves pour s’emparer des otaries qui s’aventurent trop près de l’eau, dans un va et vient permanent dans l’évolution des espèces, un aller-retour perpétuel entre la terre et la mer.
Une conclusion en forme d’espérance
Et la dernière partie du livre insiste sur cet émerveillement, et sur les capacités de nos océans à se régénérer : « il y a 30 ans, explique-t-il, passer quelques secondes en plongée avec une baleine était exceptionnel ». Même pour des gens qui passaient leur vie à courir les océans. « Aujourd’hui, grâce aux mesures de sauvegarde, aux moratoires, les populations ont explosé partout, et les baleines ne sont plus en danger ». Il nous entraîne aussi sur l’épave du Yongala, coulée il y a 100 ans, et où la vie foisonne. Et c’est tout le propos de ce message d’espoir : « dès que l’on laisse la nature en paix, sa capacité à se régénérer est spectaculaire ».
« L’extraordinaire est à portée de main »
Certes, François Sarano a vécu des expériences de plongeur que bien peu d’entre nous partagerons. Il a côtoyé tous les grands mammifères, les récifs les plus riches, les requins les plus rares, les milieux les plus hostiles et quelques paradis inviolés. « Mais, insiste-t-il, l’extraordinaire est aussi à portée de main. La transformation d’un têtard, par exemple, d’une larve aquatique à un animal qui va gagner la terre, est une formidable aventure. » Je l’imagine au printemps prochain, penché dans son jardin sur une petite mare : il aura, j’en suis sûre, le même regard curieux que s’il guettait une baleine grise en mer de Cortez.
A la fin de son livre, il a ajouté quelques uns des croquis de ses filles, qui dès qu’elles ont su tenir un crayon ont commencé elles aussi à retranscrire leurs découvertes. « Parce que l’expérience ne vaut, conclut-il, que si elle est partagée et transmise. »
Rencontres sauvages, réflexion sur 40 ans d’observations sous-marines
Prix : 19 €
Réf. : 9782741704409
Isbn : 2741704406
Editeur : GAP
Nombre de pages : 256
Longeur (cm) : 16
Largeur (cm) : 24
Epaisseur (cm) : 1.9
Poids (Kg) : 0.8