Unique au monde
La grotte Cosquer, rappelons le, est unique au monde. Découverte par Henri Cosquer sous le Cap Morgiou, accessible par un long boyau de 175 mètres qui débouche dans la paroi rocheuse à 37 mètres de fond, elle abrite des œuvres peintes et gravées vieilles de 27000 ans pour les plus anciennes, de 19000 pour les plus récentes : des animaux, terrestres mais aussi marins comme des phoques et des pingouins, en tout 177 figures animales, 65 mains en négatif, près de 300 représentations symboliques, et une rare représentation d’ “homme tué” en font un lieu exceptionnel : l’un des plus richement ornés du Paléolithique supérieur.
Les yeux des chercheurs non plongeurs
Lorsque la grotte est officiellement déclarée, deux chercheurs s’impliquent particulièrement : Jean Courtin, plongeur, scaphandrier classe B, mais aussi Jean Clottes. Le second ne plonge pas, et il a déjà dépassé l’âge limite pour la certification en scaphandrier classe B. Au départ, Luc et ses compagnons de plongée seront donc en quelque sorte les yeux des scientifiques qui restent à l’extérieur : photos, films, notes, et mesures en tout genre leur permettent de ramener en surface les éléments nécessaires au travail des chercheurs. Mais ce va et vient a ses limites et, explique Luc, « je souhaitais relire avec eux certains panneaux afin qu’ils confirment ce que j’y voyais, je voulais partager nos opinions ». Deux ans plus tard, une dérogation permettra aussi à Jean Clottes, après une formation, de découvrir par lui même les merveilles sur lesquelles il travaillait jusque là à distance.
Une grotte en surpression…
Si l’idée de départ aurait pu être de construire un accès « sec » à la grotte, plus facile, qui aurait permis à davantage de scientifiques de travailler in situ, elle se révèle très vite impossible, à moins de disposer d’énormes moyens : la grotte Cosquer, entre autres particularités, présente celle d’être en surpression. Et cette surpression est indispensable à la préservation du site : elle repousse l’eau, qui sinon pourrait monter de quelques dizaines de centimètres, et détruire à jamais les dessins les plus bas. Toute modification, de la même manière, aurait pu modifier le « climat interne » de la grotte, et endommager à jamais son contenu.
Qui ne dépend plus de l’archéologie sous-marine
Et c’est tout le paradoxe de la grotte Cosquer : une grotte sous-marine mais non immergée, dont l’accès suppose des compétences de plongeur mais où la majeure partie du travail se fait au sec. Et dès 1995, le DRASSM commence ainsi à se désengager de l’aventure : la gestion de la grotte revient alors à la DRAC PACA en 2000. Toutes les recherches sont alors placées sous la responsabilité de Luc Vanrell, sous la diretion et avec la participation de Xavier Delestre, Conservateur Régional de l’Archéologie en PACA. La grotte Cosquer est considérée, sur un plan administratif, comme un site terrestre avec un accès sous-marin. Mais très vite, la grotte Chauvet, découverte peu après, va lui voler la vedette, et surtout les budgets : plus facile d’accès, on comprend aisément que les chercheurs vont concentrer leurs efforts sur le site terrestre. Et c’est sans doute à cette période que la passion de Luc Vanrell pour la grotte va prendre tout son sens. Pendant des années, avec des budgets extrêmement réduits, il va continuer à mener régulièrement des missions dans la grotte, à collecter inlassablement un maximum de données, d’informations, à sauvegarder un patrimoine unique. A ce jour, il y a passé des centaines d’heures.
L’heure est à la sauvegarde
Aujourd’hui, la priorité de Luc Vanrell est de sauvegarder la grotte, ou en tout cas les informations qu’elle contient. « Elle pourrait disparaître, estime-t-il, de manière très rapide, son devenir dépend avant tout de facteurs environnementaux extérieurs. » Et dans la liste des menaces qui pèsent sur notre patrimoine préhistorique, il évoque notamment un risque sismique réel. Un léger tremblement de terre a déjà fragilisé certains morceaux de voûtes, et décroché quelques concrétions. « Une secousse sismique un peu plus forte, estime-t-il, pourrait refermer la grotte ». Il évoque également le réchauffement climatique, qui pourrait accélérer une montée des eaux fatale dans quelques décennies. « Elle sera certainement, estime Luc, à l’origine de la perte progressive du contenu actuel de ce site majeur, comme elle l’a déjà été par le passé pour la partie noyée de la grotte ». Enfin, risque majeur selon lui, une pollution marine brutale et importante, en modifiant complètement l’environnement de la grotte immergée à 80%, pourrait détruire les vestiges laissés par nos ancêtres. « D’un côté, explique Luc, la mer semble ainsi protéger l’atmosphère interne de la cavité, mais elle apporte également des risques inédits pour une grotte ornée »
Numériser les lieux
Seule solution, numériser le plus finement possible l’ensemble de la grotte, ne rien laisser passer, et conserver ainsi pour toujours la mémoire des dessins, des salles, des extraordinaires draperies et stalactites qui donnent au site son caractère unique. Et pour rester au plus près de la réalité, explique Luc, il est nécessaire de mettre en place « une topographie très précise au millimètre près de manière à pouvoir positionner n’importe quelle œuvre dans l’espace de façon absolue et relative, car la prochaine étape sera de sortir la topographie de la grotte pour la relier au réseau topographique national ; alors, nous serons à même de donner les coordonnées géographiques absolues d’une œuvre sur le réseau IGN par exemple. » Des missions qui sont aujourd’hui menées au sein de la société IMMADRAS, créée en 2006.
Donner des outils aux chercheurs de demain
Mais le but de cette numérisation n’est pas simplement de conserver une image précise du site. Il est aussi et surtout de permettre à d’autres chercheurs, dans un souci de partage des connaissances, de travailler à leur tour sur les innombrables découvertes faites depuis 20 ans. Luc et son équipe travaillent donc aujourd’hui à produire des rendus de plus en plus fins, de plus en plus précis, en s’appuyant sur des restitutions informatiques de pointe. Le but ultime, que les chercheurs de demain puissent continuer, sans jamais avoir plongé et sans jamais avoir respiré l’air de la grotte Cosquer, à faire parler ceux qui lui ont donné vie. « Les études à venir, explique Luc, doivent encore s’attacher à préciser la chronologie des œuvres, et à dire s’il y a eu continuité ou non dans la fréquentation de la caverne. »
Permettre au public d’y avoir accès
Et par l’impossibilité du public a y avoir accès, la grotte Cosquer a dès le départ été entourée d’une sorte de mystère. Aujourd’hui, des projets sont à l’étude pour donner enfin au public la possibilité de partager l’enthousiasme des chercheurs. Le premier consisterait à recréer l’intérieur par un procédé cinématographique, ” le Procédé Coupole ” de la société Panrama, en donnant l’impression au spectateur qu’il se trouve à l’intérieur de la grotte. Le second consisterait à la reproduire en fac-similé. « Mais, estime Luc, la quantité de diverticules, de multiples salles de toutes tailles la rendrait sans doute difficile à reproduire. »
Cosquer redécouvert
Jean Clottes, préhistorien, conservateur général du Patrimoine (honoraire), dirige au Seuil la collection ” Arts rupestres “. Jean Courtin, préhistorien, fut directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique et est spécialiste de recherches sous-marines. Photographe et scaphandrier professionnel, Luc Vanrell est l’inventeur de nombreuses épaves antiques et contemporaines, dont la plus célèbre est l’avion d’Antoine de Saint-Exupéry.
50 €
- Relié: 255 pages
- Editeur : Seuil (6 mai 2005)