L’homochromie
L’homochromie, du grec homos, semblable, et κρυπτός, couleur, consiste pour un animal à se dissimuler dans son milieu en imitant la couleur du fond sur lequel il se trouve. Ainsi les seiches (Sepia officinalis ) posées sur un fond de sable adoptent une couleur très claire. Si par la suite un individu se déplace sur un fond plus sombre ou comportant à proximité un objet plus sombre, telle une chaîne d’ancre, il changera rapidement de couleur pour se conformer à son nouvel environnement.
Des cellules pigmentaires
L’origine de ce changement de couleur réside dans la présence de cellules pigmentaires appelées chromatophores situées à la surface de la peau de la seiche : elles contiennent des pigments enfermés dans un sac appelé sacculus. Suite à un message nerveux, l’animal déforme ce sac par contraction musculaire afin qu’il change de taille ou de forme. Le chromatophore réfléchit alors la lumière différemment, entraînant un changement de couleur. Chez les poulpes les chromatophores sont actionnés par vagues car les neurones commandant ces cellules sont activés l’un après l’autre. Les poissons plats (soles, turbot…), souvent dissimulés sur les fonds sableux possèdent également des chromatophores. Ils ne sont pas enfermés dans un sac, ils sont libres dans la cellule et se regroupent ou s’étalent en fonction des besoins de l’animal, donnant un aspect plus clair ou plus foncé à l’individu.
L’homomorphie
L’homomorphie, du grec homos, semblable, et morfé, signifiant forme, est un deuxième type de camouflage. L’animal se camoufle en imitant la forme d’un élément, une pierre par exemple, présent dans son milieu. C’est notamment le cas des différentes espèces de rascasses. La structure épineuse et pustuleuse du corps de la rascasse la fait ressembler à une roche et lui permet ainsi de se dissimuler. Le camouflage est d’autant plus réussi que les rascasses restent immobiles sur le fond. Il faut cependant prendre garde à ne pas poser la main dessus car les épines présentes sur le corps de ces poissons sont très venimeuses.
Dans les herbiers ou sur le corail
Les herbiers de phanérogames comme les posidonies (Posidonia oceanica ), ou les cymodocées (Cymodocea nodosa ) abritent également des poissons homomorphes dont le corps allongé imite à la perfection la forme des feuilles. C’est le cas du syngnathe, un poisson appartenant à la même famille que l’hippocampe, qui immobile au milieu des feuilles restera invisible aux yeux du plongeur à moins que celui-ci n’ait l’oeil exercé. Les hippocampes vivent en s’attachant par la queue à une algue ou à une feuille de posidonie, et peuvent laisser des algues et des organismes vivants fixés recouvrir leurs corps, afin de se fondre encore mieux dans leur environnement. Hippocampes et syngnathes sont également capables d’homochromie. Les repérer s’avère un exercice difficile. Un petit gastéropode (Pseudosimnia carnea) vit quant à lui accroché sur les branches de corail rouge. Ce mollusque est non seulement de couleur rouge mais il arbore également des excroissances blanches ressemblant aux polypes de son hôte. Le coquillage apparaît ainsi invisible posé sur son substrat.
Syngnathe – photo : Patrice Francour
Différencier mimétisme et camouflage
Le terme de mimétisme est parfois employé à tort pour évoquer le camouflage. Mais alors que le camouflage implique une seule espèce et son milieu de vie, le mimétisme est une stratégie d’imitation mettant en jeu trois espèces différentes : une espèce, le mime, cherche à ressembler à une autre espèce, le modèle, pour en tromper une troisième, le dupe, qui est souvent le prédateur de la première. Les cas de mimétisme sont peu fréquents en Méditerranée, mais la baudroie (Lophius piscatorius ) en est un exemple. Un des rayons épineux de la nageoire dorsale est allongé et pourvu d’un lambeau de peau. Il imite une proie telle un ver (l’espèce modèle) et constitue ainsi un appât permettant à la baudroie (l’espèce mime) d’attirer ses propres proies (l’espèce dupe).
D’autres ruses : détourner l’attention.
Certains poissons présentent sur le corps une (ou plusieurs) taches noires arrondies, cerclées ou non d’une bande plus claire. Ces taches sont nommées ocelles, du latin ocellus, diminutif de oculus, signifiant oeil. L’ocelle, ou faux-oeil, détourne l’attention du prédateur sur une partie du corps moins vulnérable que la tête. Un exemple bien connu est celui de la tache présente sur le corps du Saint-Pierre (Zeus faber). Cette tache, que certaines légendes voient comme le doigt de Saint-Pierre, a ainsi un rôle vital pour ce poisson. La blennie ocellée (Blennius ocellaris ) déploie sa nageoire dorsale sur laquelle se trouve un ocelle bien visible. Un autre subterfuge consiste à dissimuler la forme de l’oeil ou à confondre l’oeil dans le reste du corps. L’apogon (Apogon imberbis ) masque son oeil au moyen d’une bande noire.
Rompre la forme.
Il est aisé pour un prédateur d’attraper une proie unique. Cependant lorsque celle-ci se déplace en bancs la capture devient plus difficile. Ajouté à cet effet de foule, certains poissons, à l’image des zèbres dans la savane, arborent des rayures : l’image globale ainsi créée rend difficile l’identification d’une seule proie par le prédateur. De plus le corps argenté de ces poissons renvoie la lumière tel un miroir et contribue également à dissimuler la forme du corps de chaque individu. La saupe (Sarpa salpa ) ou le maquereau (Scomber scombrus ) sont deux espèces usant de ce stratagème.
Jeux d’ombre et de lumière.
Les poissons pélagiques ont un corps bicolore. Leur abdomen coloré en blanc contraste avec un dos aux couleurs bleues foncées ou sombres. Cette coloration permet à un individu de se confondre avec le fond de la mer s’il est observé de la surface ou dans la lumière blanche de la surface s’il est épié depuis le fond. Les espèces comme le thon (Thunnus sp. ) ou le requin peau-bleue (Prionace glauca ) échappent ainsi aux regards lors de leurs déplacements.
Attention couleurs vives!
Et à l’inverse, se montrer peut être aussi efficace pour éviter d’être dévoré que se cacher. Ainsi la plupart des nudibranches arborent des couleurs vives bien visibles. Mais ne vous y trompez pas ! Si ces animaux sont si colorés c’est pour signaler à leurs prédateurs qu’ils ne sont pas comestibles : ces couleurs, dites aposématiques, sont des couleurs d’avertissement. Dans le monde animal, comme sous la mer, les couleurs vives sont souvent associées à des êtres vivants possédant des toxines ou des glandes venimeuses : la thuridille (Thuridilla hopei ), le doris tacheté mauve (Chromodoris luteorosea ) et la calmelle (Calmella cavolini ) en sont de superbes exemples.
Actif ou passif ?
Homomorphie, ocelles, couleurs vives…sont autant de manière de se camoufler de manière passive. Tous ces éléments font partie du corps de l’animal, et il n’a pas besoin d’agir sur son organisme pour se camoufler. En revanche, pour certains, imiter un fond sableux, ou une roche ne suffit pas. Encore faut-il être discret ! Ce camouflage est dit actif. L’immobilité est ainsi le secret d’un bon camouflage pour les poissons plats : si une sole, par exemple, déplace son corps au-dessus du sable elle sera aussitôt trahie par l’ombre portée de son corps sur le fond… En conclusion, ouvrez l’œil lors de vos prochaines plongées : vous passez peut-être à deux doigts d’un monde invisible.
Juste pour le plaisir
Pascaline Bodilis
sur scuba people