Ces dix dernières années, c’est un fait, la plongée-requin s’est intensément démocratisée. Ainsi, aujourd’hui, il est possible de s’immerger en compagnie de différents squales. Parmi les espèces avec qui l’homme peut plonger et interagir, il y a des Apex predators, ou, en Français, des super-prédateurs. Ces prédateurs comprennent les cinq espèces potentiellement dangereuses pour l’homme, à savoir le requin blanc (Carcharodon carcharias), le requin tigre (Galeocerdo cuvier), le requin bouledogue (Carcharhinus leucas), le requin océanique (Carcharhinus longimanus) et le requin taupe bleu (Isurus oxyrinchus).
De toutes les plongées, celles avec les requins bouledogues sont les plus faciles à réaliser. En effet, les sites de rencontre avec ces squales sont des plus accessibles. Ils sont à la fois proches de la côte et en eaux peu profondes. Cette profondeur raisonnable autorise donc tous les plongeurs, même novices, à vivre le grand frisson.
Ce grand frisson repose en grande partie sur la mauvaise réputation de ce requin-là, en particulier. En effet, le bouledogue est considéré comme le requin ayant le plus souvent mordu, voire tué l’homme car ses aires d’évolution sont proches des zones d’activités balnéaires.
Paradoxalement, en plongée sous-marine, sans attraction alimentaire, ce requin reste très distant. Prudent et timide, il préfère bien souvent la fuite plutôt que de tenter une approche à faible distance.
Les meilleurs sites offrant des conditions optimales d’observation du requin bouledogue sont au nombre de trois : Playa Del Carmen au Mexique, Ponta Do Ouro au Mozambique et Beqa Lagoon aux Fidji.
Dans ce dossier, nous allons plus particulièrement détailler les deux sites les plus accessibles, tant géographiquement que financièrement : Playa Del Carmen et Ponta do Ouro. Avant de rentrer dans le vif du sujet, nous vous invitons à lire ou à relire les caractéristiques propres à cette espèce, précédemment détaillées dans ce Mag.
Playa Del Carmen – Mexique
Aucun autre lieu d’observation ne présente les particularités exceptionnelles de cette station balnéaire située au sud de Cancun, au Mexique, à savoir une eau chaude et peu profonde avec une bonne visibilité. Il a récemment été prouvé qu’une grande quantité de requins bouledogues migre dans les eaux peu profondes de Playa del Carmen de Novembre à Mars, lorsque la température de l’eau chute au-dessous de 27°C. Ils sont néanmoins plus facilement observables en plongée sous-marine de décembre à février.
Pour certains super-prédateurs, la présence de nourriture est un élément déterminant dans le choix de son habitat. Ainsi, la présence du requin bouledogue à Playa Del Carmen coïncide avec celle des sérioles couronnées (Seriola dumerili). Quand les sérioles migrent, beaucoup de requins bouledogues restent pourtant dans les environs, ce qui ne nous conduit pas à vraiment associer la présence de ces requins à une piste exclusivement alimentaire.
Autre hypothèse des plus intéressantes : tous les requins sont femelles et la moitié d’entres elles sont pleines ! Il semblerait donc, que le spot de Playa Del Carmen constitue un secteur de repos pour les femelles car elles y trouvent de la nourriture en abondance, avant de continuer leur migration annuelle vers le nord pour mettre bas. Les recherches en cours valideront ou infirmeront ces théories….
La zone de plongée s’appelle « Jardines profondes »
L’accès au site, récemment reconnu comme aire marine protégée à la suite de la Cop 13 qui eu lieu à Cancun en décembre dernier, est règlementé par les autorités locales compétentes en partenariat avec une ONG Saving Our Sharks. Ainsi, les créneaux pour les plongées d’observation sont ouverts de 8h du matin à 11h puis de 13h à 15h.
Le spot se situe à environ 300 m parallèlement à la plage. Depuis le bord, l’accès au site prend moins de 5 min ! On y trouve un fond de sable en pente douce d’une profondeur comprise entre – 22 m et -28 m et régulièrement exposé au courant. Deux types de plongées sont possibles :
– La rencontre fortuite avec une dizaine d’individus évoluant sur leur territoire avec une proximité d’observation qui dépendra du bon vouloir et de l’intérêt des requins pour les groupes de plongeurs.
– La seconde plongée possible est une plongée où les requins sont nourris, le feeding.
Les opérateurs pratiquant cette plongée ont disposé des cordes sur le fond avec une bouée en surface pour favoriser l’accès à la zone et un largage correct pour les mises à l’eau. Le fond est à – 24 m sur cette zone. L’accès aux plongées feeding se fait de 11 h à 13 h et de 15 h à 16 h 30.
Dans les deux cas, la plongée s’effectue à genoux ou allongé sur le sable pour une durée moyenne d’une trentaine de minutes. Le coût est d’environ 95 $ pour les plongées d’observation et jusqu’à 200 $ pour les plongées avec appâts, ou feeding.
Ponta Do Ouro – Mozambique
Se rendre sur place n’est pas chose aisée. Les points d’accès de cette petite station balnéaire du sud du Mozambique sont, en effet, restreints. Il faut soit atterrir en Afrique du Sud à Durban et remonter jusqu’à la frontière de Kosy bay à 5 h de route au nord, soit atterrir à Maputo puis emprunter ensuite les pistes vers le sud pour arriver 160 km et 7 h plus tard, à Ponta Do Ouro.
C’est sur le site de plongée de Pinnacle, à 11 km de la plage de Ponta que nous retrouvons le rassemblement de requins bouledogues. D’après les études scientifiques, la communauté s’évalue à une quarantaine d’individus mâles et femelles tous sexuellement matures. D’une année à l’autre, certains individus tagués reviennent sur le site et de nouveaux arrivent. Ils atteignent Pinnacle et ses environs, courant novembre jusqu’au pic de concentration et d’activité, mi-janvier. Puis, peu à peu, ils disparaissent jusqu’à fin mars.
Les requins trouvent sur ce site en pleine sortie du canal du Mozambique une aire de chasse exceptionnelle, située en plein milieu d’une réserve marine. La nourriture étant abondante, une activité pélagique extraordinaire y converge. Croiser en pleine eau d’autres espèces de squales est d’ailleurs tout à fait probable, pour ne pas dire certain.
Si les bouledogues se concentrent en nombre sur Pinnacle, c’est très probablement dû au fait que ce site représente une zone de chasse exceptionnelle, notamment pour les femelles pleines qui trouvent dans cet habitat un lieu où s’alimenter facilement, avant d’engager un long périple migratoire jusqu’au fleuve Zambèze pour mettre bas.
Quand la météo est bonne, se rendre sur site, à 4 miles parallèlement à la côte prend 20 min, par gros temps environ 45 min. Cette remontée étant continuellement exposée au courant, les zones de mise à l’eau, au nord comme au sud, varient grandement. Il est conseillé d’être un bon plongeur en bonne condition physique.
Le plan de plongée est classique : s’immerger, atteindre le secteur dans la zone des – 40 m, y rester jusqu’à l’apparition des premiers paliers, ce qui constitue un temps suffisant pour intéresser quelques requins, puis quitter la zone et dériver en pleine eau. Il est strictement interdit de nourrir les requins dans la réserve mais le site étant constamment fréquenté par des pêcheurs sportifs et des chasseurs sous-marins, l’activité des plongeurs dans la colonne d’eau, avec l’aide de quelques artifices, bouteilles d’eau à craquer et flasheurs utilisés par les chasseurs sous-marins, ne tarde pas à faire venir jusqu’à quinze requins bouledogues autour de la palanquée. Ils suivront le groupe jusqu’à sa sortie de l’eau, une heure plus tard en moyenne.
Au cours de cette plongée il n’est pas rare de croiser également des requins marteaux halicorne (Sphryna lewini), des requins à pointes blanches de récif (Carcharhinus albimarginatus) et des requins bordés (Carcharhinus limbatus). À l’occasion aussi, avec un peu de chance, un requin tigre (Galeocerdo cuvier) ou un requin baleine (Rhycodon typus) pourra être observé.
Cette plongée, au coût d’environ 45 $, est à effectuer idéalement en matinée quand l’activité des squales est la plus intense.
Plonger avec les requins bouledogues
Plutôt benthique, le requin bouledogue nage au-dessus du fond à la recherche d’une odeur, d’un bruit ou d’un signal envoyé par une éventuelle proie. C’est le temps du repérage. Une fois sa proie repérée, il fait rarement des tours d’approche et passe rapidement à l’attaque. Il bondit sur sa proie à vive allure par en-dessous, lui laissant rarement une chance de s’en sortir. C’est une réaction innée face à une interprétation biologiquement ancrée dans ses gènes. Il est donc clair que lorsqu’un plongeur observe un requin bouledogue se déplaçant dans la colonne d’eau, exposant ainsi à ses éventuels prédateurs sa zone sensible, son ventre, le squale est en pleine confiance et maîtrise totalement son habitat et ses habitants. Toute approche verticale du bas vers le haut est un comportement de chasse ou d’intimidation.
Tant que les requins restent prudents, qu’ils évoluent sur le fond autour des plongeurs à une certaine distance, sans passages au milieu ou au-dessus de la palanquée, sans approches frontales, le facteur de risque reste faible. Avec le temps, les requins prennent confiance et s’autorisent des incursions de plus en plus proches des plongeurs, sur des fréquences plus courtes. Il est donc nécessaire de limiter le temps d’immersion avec ces animaux. Même si le danger est faible, il ne faut jamais oublier que l’on s’immerge en compagnie d’un ou de plusieurs grands prédateurs et que leur caractère peut se révéler imprévisible. Tout spasme, signe de territorialité, signe de nervosité ou prise soudaine de vitesse sont à considérer comme des signes d’intimidation active et doivent mettre fin à l’immersion.
En plus du briefing, une préparation psychologique des plongeurs est indispensable avant ces rencontres particulières :
– Se référer aux consignes strictes dictées durant le briefing ;
– Porter une combinaison intégrale foncée avec gants, chaussons et cagoule.
Ne pas avoir de matériel de couleur claire ou brillante, ou qui dépasse;
– Limiter son impact sonore lors de la mise à l’eau et pendant toute la plongée ;
– S’immerger rapidement et rester en groupe ;
– Toujours avoir les requins les plus proches à l’oeil. Regarder souvent derrière
soi. Surveiller particulièrement les individus de grande taille ;
– Garder une distance de sécurité d’au moins 5 m entre les requins et les plongeurs ;
– Ne jamais passer au-dessous d’un groupe de requins, rester à leur niveau ou
légèrement au-dessus ;
– Maintenir une position verticale ou à genoux sur le substrat pour paraître neutre et
plus imposant ;
– Rester constamment groupés car un plongeur isolé est plus vulnérable ;
– Ne jamais reculer face à une approche frontale ; utiliser un débordoir pour repousser fermement mais sans violence un requin trop curieux.
– Si vous utilisez des lumières artificielles, attention ! Certains requins peuvent être
stimulés par la recharge des accus ou être effrayés par les flash ;
– Si un plongeur de la palanquée n’est pas à l’aise, la palanquée quitte la zone
calmement en gardant les requins en vue.
Fiche Technique
– Le requin bouledogue possède une silhouette massive, un corps trapu, tassé et court avec un museau arrondi, large, extrêmement court et de très petits yeux.
– Sa couleur peut aller du gris, clair ou foncé, au brun olive. Le ventre est quant à lui blanchâtre. Une tache gris clair recouvre le dessus de la tête des spécimens sexuellement mature.
– C’est un requin dit benthique, c’est à dire qu’il évolue principalement au-dessus de substrats rocheux ou coralliens proches de la côte, à des profondeurs inférieures à 60m. Il nage la plupart du temps au-dessus du fond et s’aventure très rarement en pleine eau. Le requin bouledogue est également appelé requin du Zambèze. Il a la particularité d’appliquer l’osmorégulation qui lui permet de s’acclimater parfaitement aux eaux hypo-salines. Il utilise cet avantage pour donner naissance aux juvéniles, parfois à des centaines de kilomètres dans les terres en remontant les rivières et les fleuves. Ses biotopes favoris, c’est-à-dire ses milieux de vie, sont les zones de faible profondeur, régulièrement brassées par des vagues où l’on retrouve une partie de sa chaîne alimentaire dans des eaux turbides, telles que les barrières de corail non loin des plages, les sorties d’estuaires, voire les embouchures où l’on retrouve une forte activité industrielle. Ils sont également présents près du littoral où l’activité balnéaire humaine, baignades et surf, par exemple, est importante. Il partage donc son quotidien dans des zones fréquentées par l’homme, ce qui fait qu’il est souvent impliqué dans des attaques, ce qui est directement lié à sa mauvaise réputation.
– On le confond souvent avec le requin taureau (Carcharias taurus), car le nom vernaculaire anglais du requin bouledogue est Bull shark, ce qui se traduit littéralement par « requin taureau » et prête donc à confusion. Afin de ne pas se méprendre avec d’autres espèces de la famille des Carcharhinidae, car il n’existe pas de point distinctif sur ses nageoires, l’œil est situé à la verticale de l’extrémité de sa mâchoire inférieure. Il peut mesurer jusqu’à 4 m, mais la plupart des individus ne dépassent pas 2,80 à 3 m.
– Les requins bouledogues sont des prédateurs sociaux qui évoluent en groupes hiérarchisés. Ils sont extrêmement territoriaux. Nous les retrouvons dans différents rassemblements, tels que les migrations liées à la reproduction, les mises bas et sur des lieux riches en nourriture où ils se sédentarisent une partie de l’année.
C’est le requin responsable de 80% des morsures et des attaques mortelles sur l’homme chaque année.
Texte, vidéo et dessin : Steven Surina