Par le Docteur Jean-Arthur Micoulaud Franchi
Le syndrome appelé « narcose à l’azote » a été mis en évidence par le développement de la plongée sous marine à l’air. Il fait parti plus généralement des «narcoses aux gaz inertes » puisque ce phénomène est général et se manifeste avec toute une série de gaz inertes de pouvoir narcotique variable (Rostain, Abraini et al. 2006). La narcose est un syndrome formé d’un ensemble de symptômes neurologiques et psychiatriques provoqués par l’inhalation de gaz narcotique à des pressions partielles plus ou moins importantes suivant en particulier la solubilité lipidique du gaz narcotique. Le mécanisme neurophysiologique est commun quelque soit le type de gaz narcotique inhalé (Rostain, Abraini et al. 2006).
Il s’agit d’un des syndromes, avec le syndrome nerveux des hautes pressions (SNHP) (Rostain 2006), qui limite l’accès des grandes profondeurs aux plongeurs. La narcose et le SNHP sont des syndromes que la recherche en médecine hyperbare a tenté de limiter dans le contexte de la course aux grandes profondeurs, stimulée par les possibilités économiques offertes par les gisements pétrolifères « off shore ». La narcose est donc généralement analysée par son aspect déficitaire et délétère.
Mais en dehors des plongées profondes professionnelles, la narcose ne pourrait elle pas être au contraire une variable pouvant expliquer l’engouement de certains plongeurs « loisir » pour la plongée sous-marine profonde (plus de 40 mètres en loisir) ? Le but général de cette étude est donc d’analyser la narcose par son aspect subjectif et possiblement attirant, et non uniquement médical et déficitaire. La narcose ne pourrait-elle pas présenter un attrait au lieu d’être uniquement un déficit ?
Le « charme particulier » de « l’ivresse des profondeurs »
C’est en tout cas ce que suggère le mémoire de 1987 de Valérie Honoré-Castellin (psychiatre à Marseille), analysant des rapports sous la forme d’impressions vécues par 12 plongeurs professionnels (huit corailleurs et quatre plongeurs de la COMEX). Il est rapporté que : « la narcose, c’est magique, c’est agréable, c’est grisant, on se sent bien », ou encore « on se sent très grand, un peu comme un surhomme, on se dit qu’on est aussi fort qu’un cosmonaute qui marche sur la lune » (Honoré-Castellin 1987)… D’ailleurs dés 1835, Junod rapporte, chez des scaphandriers, des troubles voisins de l’intoxication alcoolique et décrit chez ces derniers « une imagination vive et des pensées qui ont un charme particulier » (Junod 1835).
C’est également ce que suggèrent les descriptions de la narcose par les pionniers de la plongée sous marine (Cousteau et Dumas 1953). En effet, l’attrait pour les plongées profondes, la narcose et ses effets psychiques, semblent être intrinsèquement liés à l’histoire des plongeurs ayant permis le développement de la plongée sous marine loisir. Dans le témoignage de Jean-Yves Cousteau et Frédéric Dumas, intitulé Le monde du silence, publié en 1953, on peut repérer un lien fort entre la naissance de la plongée sous marine et l’effet psychique induit par la profondeur (Cousteau et Dumas 1953). Ainsi dès le début du livre, dans le chapitre intitulé : L’ivresse des profondeurs, Cousteau et Dumas déclarent : « Notre premier été de plongée profonde a marqué toute notre existence. (…) Nous ne sommes jamais descendus aussi bas et pourtant jamais nous ne nous sommes sentis aussi dispos » (Cousteau et Dumas 1953). C’était en 1943. Bien qu’en 1935, Benhke expliqua la véritable cause de « l’ivresse des profondeurs » par la pression partielle élevée d’azote dans le mélange gazeux inhalé (Behnke, Thomson et al. 1935; Rostain, Abraini et al. 2006), cette explication n’était alors pas connue par l’équipe de Cousteau, qu’il ne nommait donc pas encore « narcose ». Cependant l’expérimentation de cette « ivresse des profondeurs » semble avoir eu un rôle fédérateur, voir fondateur, dans leurs équipes et dans la poursuite de leurs aventures, qui conduira à la naissance de la plongée sous-marine loisir. Et Cousteau continuera en comparant l’ivresse des profondeurs à la consommation d’une drogue. Il commencera par décrire sa propre expérience : « Personnellement je suis assez sensible à l’ivresse des profondeurs. J’avoue en aimer la magie, mais en même temps je la redoute, car je sais qu’elle amoindrit dangereusement l’instinct de conservation ». Pour continuer en nuançant : « L’ivresse des profondeurs a sur l’ivresse de l’alcool ou des stupéfiants l’avantage de n’avoir pas de suite. Dés que le plongeur intoxiqué remonte de quelques mètres, son cerveau s’éclaircît ; il n’y a pas de cruel « lendemain matin » » (Cousteau et Dumas 1953). Dans ces années où la plongée n’était pas encore établie comme un loisir commun (en 1943, et après, l’équipe formée par Cousteau essayait les premiers prototypes et sillonnait en camionnette la côte méditerranéenne) il restait risqué de poursuivre la comparaison avec les psychotropes au risque de se faire critiquer d’avoir inventé une nouvelle drogue !
Ainsi, si la plongée sous-marine et « l’ivresse des profondeurs » provoque un effet subjectif attrayant similaire à l’alcool ou à d’autres psychotropes, il est légitime alors de se demander si la consommation de psychotropes est plus importante chez les plongeurs, et s’il pourrait exister une dépendance à cet attrait de la narcose, comme il existe une dépendance à l’alcool ?
La plongée, les psychotropes et la dépendance
Le lien entre plongée sous-marine et consommation de psychotropes est évoqué par des données éparses de la littérature grise (abstract de congrès, rapports de plongeurs, forums, et débats internet) qui soulignent une consommation de psychotropes possiblement importante dans la communauté des plongeurs (Monteiro, Hernandez et al. 1996; Dowse, Shaw et al. 2011). Pourtant, la prévalence exacte de consommation de produits psycho-actifs est largement inexplorée chez les plongeurs (Hobbs 2008; Dowse, Shaw et al. 2011). Ainsi, en 2008, Hobbs concluait un article d’analyse comparative de l’effet subjectif et comportemental de l’azote et de l’alcool par : « the role of diving and drinking history remains an open question » (Hobbs 2008).
Très récemment l’équipe de Gary Smerdon du DDRC (Diving Diseases Research Centre) de Plymouth aux Royaumes Unies, vient de publier deux études sur la consommation de produit psycho-actif chez 479 plongeurs loisirs Anglais âgés de 16 à 59 ans (Dowse, Cridge et al. 2011; Dowse, Shaw et al. 2011). La première étudie la consommation de psychotrope illicite, en comparaison aux données du BCS (British Crime Survey) considérées comme des données de référence pour la population générale (Dowse, Shaw et al. 2011). La seconde étudie la consommation de médicament (Dowse, Cridge et al. 2011).
La consommation de produits psycho-actifs illicites n’est pas plus importante que dans la population générale, voire même inferieure (Dowse, Shaw et al. 2011). Cependant trois limites non discutées dans l’article sont cependant à relever.
– La consommation des produits psycho-actifs licites (tabac et alcool) associée aux produits illicites n’est pas étudiée (Dowse, Shaw et al. 2011). Seul des résultats secondaires sur la consommation de tabac et d’alcool sont présents dans l’étude sur la consommation de médicament (Dowse, Cridge et al. 2011). Pourtant le lien possible entre la plongée sous-marine et la consommation d’alcool a été mis en avant (Hobbs 2008). Cependant, un questionnaire sur la consommation d’alcool était disponible sur le site du DDRC, mais est désormais retiré, ce qui suggère un traitement des données en cours et donc des publications à venir par ce groupe de recherche du DDRC.
– Seule la consommation des psychotropes est analysée. La dépendance à ces substances avec les possibles conséquences et pathologies induites n’est pas étudiée (Reynaud 2006).
– Le fait d’être un plongeur n’est pas pondéré par le type de pratique de plongée privilégié par le sujet : avec ou sans prise de risque, facteur pourtant important pour analyser les comportements de recherche de plaisir chez les plongeurs (Bonnet, Pedinielli et al. 2001; Bonnet, Pedinielli et al. 2003; Bonnet, Fernandez et al. 2008).
Ce dernier point est important, puisque Bonnet et al. ont montré que le profil émotionnel des plongeurs à risque (dont la profondeur de plongée et la recherche de la narcose sont des critères importants) présentait une prédisposition supérieure aux émotions négatives comparativement à des plongeurs non à risque (Bonnet, Pedinielli et al. 2001; Bonnet, Pedinielli et al. 2003). Ce type de tempérament est retrouvé également comme facteur de risque de dépendance (Reynaud 2006), et permet d’envisager un lien psychologique entre la dépendance et les plongées à risque profonde.
Le but général de cette étude est d’envisager la narcose par son aspect subjectif attirant (Junod 1835; Cousteau et Dumas 1953; Honoré-Castellin 1987). L’objectif médical est d’analyser la question de la dépendance chez les plongeurs sous-marins afin d’essayer de combler les limites de l’études de (Dowse, Shaw et al. 2011) et de prolonger les études de Bonnet et al. (Bonnet, Pedinielli et al. 2001; Bonnet, Pedinielli et al. 2003; Bonnet, Fernandez et al. 2008). L’hypothèse implique de redéfinir la plongée sous-marine comme : un dispositif d’inhalation à haute pression d’azote afin d’obtenir un effet psychotrope, et de rechercher si la plongée pourrait être inclue dans « des pratiques de consommation susceptibles d’induire une addiction » (Reynaud 2006). La possible dépendance à la narcose et la consommation de psychotropes licites chez les plongeurs (alcool et tabac) seront donc analysées. La co-dépendance étant un phénomène fréquent en addictologie (Reynaud 2006), il pourrait de plus exister un lien entre le risque de dépendance à l’alcool et au tabac, et le risque de dépendance à la narcose.
Sécurisez et non prohibez votre plongée !
La définition donnée de la plongée sous-marine peut paraître réductrice et critiquable. La plongée sous-marine est bien sûr plus qu’un simple dispositif d’inhalation à haute pression d’un gaz psychotropique. Cependant cette définition se veut uniquement heuristique afin d’analyser une possible conséquence psychiatrique/addictologique de la plongée sous-marine à l’air non encore explorée.
Nos résultats devront rester neutres face à la légitimité sociale de cette pratique. Nous rappelons par ailleurs que l’acceptation sociale de certaines drogues (alcool, tabac, caféine) et la stigmatisation d’autres (psychotropes illicites) n’est pas déterminée uniquement par des faits médicaux et scientifiques objectifs et implique également des conflits de valeur (Jayle 2006). Nos résultats, quels qu’ils soient, ne devront et ne pourront pas interdire in fine la pratique de la plongée sous-marine profonde source de plaisir sous prétexte qu’elle serait potentiellement addictogène par l’effet narcotique.
Par contre, explorer la problématique de l’addiction dans la plongée sous-marine pourrait permettre de mettre en évidence de possibles effets secondaires de cette pratique reliés à l’inhalation de gaz psychotropes dans certaines conditions de pression. Il s’agirait alors d’informer et d’expliquer aux plongeurs soucieux de développer une pratique responsable et autonome dans l’esprit des formations progressives aux niveaux de pratique de la plongée, de l’encadrement par les paires, et du livre sur les règles de sécurité de Jean-Jacques Grenaud et Mathieu Coulange (2008).
« Dive Experience of Enticing Profoundness »
Devant l’absence d’outil pour analyser la possible dépendance à la narcose, cette étude a consisté à construire et à valider un auto-questionnaire de mesure de la dépendance potentielle à l’azote haute pression et à la plongée sous-marine à l’air profonde. Nous avons nommé ce questionnaire par l’acronyme DEEP pour Dive Experience of Enticing Profoundness.
Cet acronyme a été pris en référence à l’attrait pour la profondeur et au possible plaisir de la narcose, évoqué précédemment (Cousteau et Dumas 1953; Honoré-Castellin 1987). L’utilisation du terme « Profoundness » en anglais ne se réfère en effet pas uniquement à la profondeur mais également à un certain aspect mystique (que l’on pourrait traduire par « profondeur intérieur ») et c’est pour cela qu’il a été choisi comme nous le suggéraient les descriptions subjectives des plongeurs (Cousteau et Dumas 1953; Honoré-Castellin 1987). Il faut rappeler que Cousteau bien qu’ayant découvert le terme de narcose à l’azote après la guerre, affirmait que : « pour nous, cette narcose était, et restera, l’ivresse des grandes profondeurs » (Cousteau et Dumas 1953).
En référence au lien possible entre consommation de psychotropes et pratiques de la plongée sous-marine profonde (Bonnet, Pedinielli et al. 2003; Hobbs 2008; Dowse, Shaw et al. 2011), nous analyserons également par auto-questionnaire la consommation de psychotropes licites associés : tabac et alcool.
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Déjà enfant elle massacre des requins au simple autel du plaisir et du record !
Ca craint un max !!!!! Je n’ose même pas imaginer la suite
Je transmet tout mon mépris à ceux qui l’éduquent