par Stefano Ruia
L’étude des données recueillies lors de la première campagne de recherche du laboratoire DSL (Diving Safety Laboratory) de DAN Europe, intitulée « Flying bubbles », est arrivée à son terme. Les résultats sont assez surprenants, au point de mériter une publication dans la revue scientifique de renom Aviation Space and Environmental Medicine.
Différentes théories
Nous avons vu ce qui précédait, ce qui se passait pendant, et maintenant… nous allons voir ce qui se passe après. En ce qui concerne la prise de l’avion après la plongée, le projet « Flying bubbles » de DAN comble le fossé entre la théorie et les faits.
Avant ce projet, il existait différentes recommandations relatives à l’intervalle de temps à respecter entre une plongée et la prise de l’avion afin d’éviter le risque de problèmes de décompression causés par la dépressurisation de la cabine. Toutes ces recommandations reposaient néanmoins sur la théorie uniquement. Chez DAN, les temps d’attente préconisés ont été établis à partir de l’analyse de cas réels de maladie de décompression, tandis que chez d’autres, ils sont fondés sur l’hypothèse selon laquelle « il n’y a pas eu de problème jusqu’à présent, alors continuons comme ça ».
Les plongeurs qui ont utilisé les anciennes tables de la Marine américaine ont peut-être de vagues souvenirs d’avoir été classés dans la catégorie « groupe D » avant de prendre l’avion. Dans certains cas, il était même admis de prendre l’avion immédiatement ! Par la suite, des intervalles fixes ont été introduits (24 ou 48 heures), selon que la dernière plongée était une plongée unique ou répétitive, et selon qu’elle avait été réalisée dans la courbe de sécurité ou non. Même parmi les plongeurs professionnels et militaires, les temps d’attente avant de monter à bord d’un avion commercial varient de 2 à 24 heures.
Le premier séminaire relatif à la prise de l’avion après la plongée (Flying After Diving) a été organisé en 1989 par l’UHMS (Undersea and Hyperbaric Medical Society). Selon DAN, les recommandations fournies à cette occasion n’étaient pas très restrictives, mais avaient été mises en exécution afin d’augmenter la sécurité de la plongée. De nombreux dirigeants de centres de plongées s’étaient toutefois plaints du fait que l’application de telles recommandations nuirait à leurs affaires sur les îles.
De 1992 à 1999, DAN a mené des recherches au sein du laboratoire environnemental du centre médical de la Duke University en Caroline du Nord (États-Unis). Les « vols en avion » réalisés étaient en fait des simulations, puisqu’ils prenaient place au sein d’un caisson hyperbare. DAN a ensuite étudié le lien entre le risque de maladie de décompression et l’intervalle de surface avant la prise de l’avion dans le cadre d’une étude rétrospective portant sur l’analyse de situations « avec accident » et d’autres « sans ».
Néanmoins, dans de nombreux domaines de la médecine, les études en laboratoire fournissent des résultats qui diffèrent de ceux obtenus « sur le terrain ». Par ailleurs, certains phénomènes ne peuvent pas être reproduits dans le laboratoire. De plus amples détails relatifs à de telles divergences sont fournis dans un article publié dans l’Alert Diver (édition européenne, 3/2006) par le Dr R. Vann. « La prise de l’avion ou l’atteinte d’altitudes élevées après des plongées multiples réalisées sur plusieurs jours consécutifs ne peut faire l’objet d’une étude en laboratoire (dans un caisson hyperbare).»
En 2011, de retour d’un séjour dans les Maldives dédié à la recherche, le Dr Danilo Cialoni et Massimo Pieri, tous deux membres de notre service de recherche (Diving Safety Laboratory), ont eu une idée fascinante qui devait impliquer le département DAN Europe Research (en particulier les prof. Alessandro Marroni et Costantino Balestra). Leur idée de projet de recherche résonnait comme un défi : il s’agissait de réaliser des échocardiographies en plein vol en avion suivant un séjour de plongée.
Échocardiographie en plein vol
Relever un tel défi a été difficile, presque impossible, en particulier du point de vue bureaucratique. Dans cet aspect, deux partenaires de DAN, Albatros Top Boat et Neos Air, ont été d’une aide fondamentale. En vue d’obtenir la certification CEM (compatibilité électromagnétique), nécessaire pour l’utilisation de l’échocardiographe pendant le vol, les techniciens et chercheurs de DAN Europe ont été contraints de passer plusieurs nuits à l’aéroport Malpensa de Milan. Au terme de nombreuses heures de travail, leurs efforts ont porté leurs fruits : pour la première fois, nous avons été en mesure de voir ce qui se passait réellement dans le corps d’un plongeur pendant un vol en avion.
La première semaine consacrée à la recherche dans les Maldives nous avait déjà permis de consigner 4 000 fichiers, qui ont bien sûr fait l’objet d’analyses longues et détaillées.
La méthodologie utilisée pour les échocardiographies comprend quatre phases de contrôle. La première prend place lors du vol aller, lorsque le plongeur n’a plus plongé depuis au moins 48 heures. Ces premiers tests sont utiles pour capturer des données qui n’ont pas encore été influencées par une exposition hyperbare et pour déterminer ce qui, dans le jargon médical, s’appelle la « fenêtre échocardiographique ». L’ordinateur de plongée iDive Pro de Dive System, un partenaire de DAN Europe et du laboratoire DSL, a permis d’enregistrer une mesure précise de la pression de la cabine toutes les 15 minutes.
La deuxième phase consiste en l’administration d’une échocardiographie et d’autres tests après chaque plongée durant une semaine de croisière-plongée. Les semaines dédiées à des travaux de recherche spécifiques font peu à peu partie de la routine de l’élégant bateau de croisière « Duke of York ». Ces semaines ressemblent fort aux croisières habituelles réalisées dans les Maldives, si ce n’est qu’elles revêtent une importance scientifique. En effet, chaque fois qu’un plongeur remonte à la surface, il doit passer par le spa qui, pour l’occasion, a été transformé en « salle de recherche » et en centre de soins médicaux, afin de réaliser différents tests.
Les profils de plongée sont vérifiés par l’ordinateur, puis téléchargés en vue des tests suivants. Toutes les plongées sont effectuées dans la courbe de sécurité, les remontées sont réalisées à la vitesse appropriée, et les plongeurs sont tenus de respecter un palier de sécurité de 3 minutes à 5 mètres. Aucun des plongeurs n’a jusqu’à présent souffert d’une maladie de décompression.
La troisième phase de contrôle prend place à l’aéroport, où les plongeurs se soumettent à une échocardiographie juste avant de monter dans l’avion, après avoir observé un intervalle de surface de 24 heures.
Enfin, la dernière phase se déroule pendant le vol de retour et consiste en une échocardiographie et un examen Doppler à exactement 30, 60 et 90 minutes après l’atteinte de l’altitude de croisière.
Analyse des données
Lors de sa présentation en 2013 à la conférence tenue par l’EUBS (European Underwater and Baromedical Society), le projet de recherche a reçu le prix Zetterström du meilleur poster de présentation de projet scientifique.
Certaines des données recueillies sont faciles à comprendre. À titre d’exemple, lors des examens réalisés à bord du vol aller, aucune bulle n’a été observée chez les plongeurs participant à l’étude. Même si le résultat de ce test semble évident, ce dernier est nécessaire afin de prouver que les éventuelles bulles trouvées chez les plongeurs pendant le vol de retour n’ont pas été causées par le vol, mais bien par l’effet combiné de la plongée et de la dépressurisation consécutive dans l’avion.
D’autres données révélées par l’étude étaient par ailleurs inattendues. Par exemple, on a toujours pensé qu’un vol de longue durée posait un risque plus important qu’un vol de durée moyenne, alors que c’est tout le contraire. Ce phénomène est probablement dû à l’altitude maximale atteinte, environ 1 500 à 1 800 m pour le voyage aux Maldives, et environ 2 400 m (le maximum autorisé) pour les voyages moins lointains.
L’examen des plongeurs à l’aéroport avant le voyage de retour, lors duquel aucune bulle n’a été observée, nous a permis d’estimer qu’un intervalle d’attente de 24 heures après la dernière plongée était suffisant si les plongeurs restent au niveau de la mer, de telle sorte qu’aucune bulle ne puisse se former dans leur organisme.
Rappelons que certains plongeurs développent davantage de bulles que d’autres, même pour des profils de plongée similaires. Les examens réalisés pendant la semaine de croisière ont permis de diviser les sujets en trois catégories : ceux qui ne développent pas de bulles, ceux qui développent des bulles occasionnellement, et les plongeurs dits « sujets aux bulles », qui développent des bulles après chaque plongée. Pour obtenir une comparaison cohérente, les profils de plongée doivent avoir une influence minimale sur cette classification (il est évident qu’un profil plus lourd présentera davantage de bulles qu’un profil plus léger).
Les analyses réalisées en plein vol ont révélé que la majorité des plongeurs n’avaient pas développé de bulles pendant le vol de retour suite à une attente de 24 heures après la dernière plongée. Les seuls à échapper à cette règle étaient les plongeurs « sujets aux bulles ». Il est donc conseillé aux plongeurs de cette catégorie de prolonger l’intervalle d’attente avant la prise de l’avion. Pendant la semaine, deux des plongeurs se sont révélés être « très sujets aux bulles », et ont été invités à s’abstenir de réaliser leur dernière plongée, afin d’étendre le temps d’attente avant la prise de l’avion à 36 heures. Il est important de noter que ni l’un ni l’autre de ces plongeurs n’a développé de bulles au cours du vol. Pour les plongeurs enclins aux bulles, il est donc opportun d’observer un intervalle d’attente supérieur à 24 heures. Alternativement, les chercheurs du département DAN Research suggèrent de prendre une mesure préventive consistant à respirer de l’oxygène normobare avant la prise de l’avion.
Les plus hauts niveaux de bulles détectés ont été observés 30 minutes après l’atteinte de l’altitude de croisière. Les niveaux de bulles ont ensuite baissé dans la période allant de 60 à 90 minutes, similairement à la remontée vers la surface en fin de plongée. Quant à la dépressurisation, elle présente les mêmes effets que la sortie de l’eau. À mesure que le temps passe à cette altitude, l’organisme « désature » et la quantité de bulles diminue. Il existe une autre explication possible : de minuscules bulles sont déjà présentes dans le sang, mais sont tellement petites qu’elles n’apparaissent pas sur un échocardiogramme normal. La dépressurisation pourrait augmenter leurs dimensions et les rendre visibles.
Quelles pourraient être les conséquences futures de cette étude pour les plongeurs ? Comme l’indique le prof. Alessandro Marroni, « nous nous dirigeons tout droit vers un avenir où le composant individuel est susceptible d’influencer le modèle mathématique, portant un accent particulier sur l’application pratique de la recherche dans le domaine de la sécurité en plongée. Auparavant, lorsque nous étudiions le fonctionnement de l’organisme, nous jonglions avec des mathématiques appliquées et des algorithmes spécifiques. Aujourd’hui, nous embarquons sur une toute nouvelle voie, fascinante, qui va nous permettre d’incorporer des paramètres physiologiques simples dans les mathématiques, afin que ces algorithmes s’adaptent mieux à l’organisme. Nous avons encore du chemin à parcourir, et pour y arriver DAN Europe s’engage à déployer tous les efforts nécessaires, avec l’aide précieuse des plongeurs, qu’il tiendra informés des développements actuels et futurs.
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Oui…ISA…j’avais émis à ce propos un billet : “STOP AU FINNING EN EUROPE”…
Ce sont vraiment des bonnes nouvelles !