Lors de la Seconde Guerre Mondiale, dès novembre 1942, les Allemands songeaient à s’emparer de la flotte de Toulon ; ils franchirent la ligne de démarcation et, le 18, ils étaient à Sanary. Une opération destinée à occuper le port fut envisagée. Confiée à l’Armée de terre, avec appui aérien, mal menée, elle aboutira, le 27 novembre à 5h 30 du matin, à la réaction de l’Amiral De Laborde, qui donnera l’ordre de sabordage. Prévu à l’avance, il sera réalisé en moins d’une heure. Plus d’une centaine de navires seront sabordés, dont 3 cuirassés, 7 croiseurs, 1 transport d’aviation, 15 contre-torpilleurs, 14 torpilleurs, 4 avisos, 12 sous-marins, plus 30 bâtiments divers (chasseurs, patrouilleurs, mouilleurs de filets, transports pétroliers, bâtiments de servitude) et 4 grues et docks de levage, pour un total de plus de 232 000 tonnes. Seuls quatre sous-marins (Casabianca, Marsouin, Iris et Glorieux) parviendront in-extrémis à échapper à cet enfer.
Dès la fin du conflit, la rade est jonchée d’épaves, de munitions, d’explosifs qu’il va bien falloir neutraliser. Ainsi naîtra le fameux GRS (Groupe de Recherches Sous-Marines), animé entre autres par les Mousquemers (J.Y Cousteau, Philippe Tailliez et Frédéric Dumas), qui se voit confier par l’Etat Major de la Marine cette lourde tâche, entre autres activités subaquatiques. Sa première mission consistera à sortir deux torpilles d’un sous-marin allemand échoué devant St Mandrier. Frédéric Dumas, dans Angoisses dans la mer nous en fait le récit :
« Je plongeai sur l’arrière du sous-marin et passai la tête par le panneau de chargement des torpilles. Dans la faible lumière du compartiment, je distinguai deux longs cylindres… Je remarquai que le sous-marin bougeait sous l’action de la houle, ce qui n’était pas fait pour me rassurer… Surveillant la torpille d’un œil, je fis une petite fouille sans rien trouver de marquant ; le remorqueur récupéra la torpille. »
Des équipes de déminage sont ensuite formées pour intervenir sur tous les engins de guerre et affectées à la section K.M.A (Katymines). On appelle ces plongeurs « Scaphandriers Démineurs ». Le matériel utilisé est assez hétéroclite : scaphandre allemand Draeger M 40, anglais Siebe-Gorman ou circuit fermé Davis. En 1949, l’Etat Major décide d’effectuer une mission de déminage des côtes du Languedoc, qui reçoit un Témoignage officiel de satisfaction du Ministère de la Marine. En outre, à cette occasion, les plongeurs démineurs se verront attribuer une prime de « mouillage d’habit », ainsi qu’une prime de risque, au même titre que les Pieds-Lourds qui avaient commencé le déminage.
Depuis cette époque héroïque, le métier a bien sûr beaucoup évolué. Désormais recrutés parmi les titulaires du certificat de plongeurs de bord, les postulants doivent suivre un cours de formation initiale de 9 mois au cours duquel ils apprendront à utiliser tous les appareils respiratoires réglementaires à circuit ouvert, fermé et semi-fermé. Leur qualification les autorisera à plonger jusqu’à 60 mètres à l’air, et jusqu’à 80 mètres avec des mélanges ternaires (trimix) composés d’azote, d’oxygène et d’hélium. Ils seront en outre formés à la recherche, à l’identification et la destruction d’engins explosifs immergés, aux travaux sous-marins (découpage, soudure, déplacement d’objets volumineux, photo et vidéo sous-marine). Quelques années plus tard, l’accès au brevet supérieur de plongeur démineur leur permettra de compléter leurs connaissances en matière de neutralisation d’engins explosifs. Ils serviront dans des unités spécialisées (GPD : Groupes de Plongeurs Démineurs et chasseurs de mines principalement) dont la plongée et l’intervention sur explosifs immergés sont les missions essentielles.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Nous avons suivi Christopher, Plongeur Démineur au 3ème GPD lors d’une mission d’entraînement au large de Toulon. Trois jours ordinaires dans la vie d’un plongeur pas ordinaire. Nous rejoignons l’arsenal où après les inévitables contrôles de sécurité, nous sommes accueillis par Christopher, Romain et Julien, qui nous amènent au bâtiment qui abrite les locaux du 3ème GPD. Celui-ci est entouré d’une riche collection d’objets explosifs en tous genres : mines à orin, rockets, missiles, canons, etc… Depuis leur création, les trois GPD ont développé un ou plusieurs domaines d’excellence. Ainsi, le GPD Manche, basé à Cherbourg, est-il spécialisé dans le dépiégeage d’assaut dans le cadre du contre-terrorisme maritime, alors que le GPD Atlantique de Brest opère sur les mines inconnues et les interventions en eaux polluées. Le GPD Méditerranée de Toulon intervient dans les travaux sous-marins et le VSW (Very Shallow Water), qui consiste en des opérations de déminage de port, accompagnées d’un traçage de chenal destiné à sécuriser l’accès à une zone de mouillage en cas de conflit par exemple.
Aujourd’hui, dans le cadre d’un exercice, une mission de recherche est programmée. Après avoir embarqué tout le matériel nécessaire, nous quittons le quai sur un puissant pneumatique et après avoir traversé la grande rade, nous arrivons 20 mn plus tard sur la zone de recherche, non loin de l’anse Méjean, sur des fonds sableux d’une dizaine de mètres, parsemés d’herbiers. Après avoir gréé leurs « crabes », les nouveaux équipements dont la société Aqua Lung équipe désormais les plongeurs démineurs, nos « modèles » piquent rapidement vers le fond et nous les suivons sans tarder. Nous sommes au mois de juillet, l’eau est tiède, et la visibilité correcte, une dizaine de mètres. Sanglés par deux, nos plongeurs ratissent soigneusement la zone, et finissent par découvrir une bombe avec son empennage à demi enfouie dans le sable.
Dans la réalité, il serait bien sûr interdit à tout plongeur non spécialiste de s’en approcher et encore moins de la toucher, la charge explosive pouvant être toujours dangereuse. Seuls les démineurs professionnels peuvent les traiter. Si l’objet est trop proche de la côte, nos plongeurs devront mettre en place en priorité des rayons de sécurité afin d’assurer la sécurisation de la mine, le relevage de l’engin explosif à l’aide d’une « vache » (parachute destiné à soulever un engin lourd) puis son déplacement vers un point de pétardement en sécurité à une certaine distance de la côte, celle-ci variant en fonction de la charge. Mais, même si c’est leur spécialité première, les démineurs n’interviennent pas qu’en milieu marin, et suivant les théâtres d’opérations, les procédures diffèrent quelquefois radicalement, comme nous le confie le 1er Maître Sylvain B… : « Lors du conflit libyen, nous avions localisé une bombe d’avion non explosée dans un immeuble de Tripoli ; avant que nous ayons pu mettre en œuvre la moindre procédure, ils avaient descendu la bombe (250 kg quand même…) par l’escalier, l’avaient posée sur un matelas dans leur pick-up et étaient partis en cahotant dans le désert pour la faire exploser… ».
Il ne faut pas oublier que, représentant une grave menace pour les forces maritimes et le trafic commercial sur les océans, les mines ont été employées de manière intensive au cours des deux derniers conflits mondiaux. De plus, elles ont également été utilisées pendant les guerres de Corée et du Viêtnam et au cours des conflits du Moyen-Orient. Si ces conflits sont terminés depuis plus ou moins longtemps, pour les plongeurs démineurs, ils ne sont pas finis, et la tâche à accomplir reste considérable… Quoi qu’il en soit, il existe une procédure à appliquer en cas de découverte fortuite par des particuliers, qui consiste à alerter les postes de secours qui sauront relayer l’information vers les services compétents (police, sémaphores, Crossmed, etc). Si possible, et sans pour autant se mettre en danger, repérer l’endroit, voire le baliser pour le retrouver, ce qui facilitera le travail des spécialistes.
Mais revenons à notre mission : la seconde partie consistera à retrouver un obus d’exercice de gros calibre que nos plongeurs devront élinguer et remonter à bord du zodiac à l’aide d’un parachute avant de rentrer à leur base. L’exercice se déroule sans anicroche après une courte prospection et nous regagnons le poste 605 pour le débriefing.
L’après-midi nous verra accompagner nos hôtes pour une mission toute différente, car il s’agit cette fois de réaliser des mesures d’épaisseur de coque sur la frégate ASM (Anti Sous Marine) Montcalm dans le port de Toulon. Les eaux du port ne sont pas franchement transparentes, et nous nous mettons à l’eau entre le quai et la coque du navire en compagnie de deux plongeurs démineurs accompagnés de deux plongeurs de bord de la frégate.
Au retour de la plongée, Philippe nous confiera que l’ambiance était particulière : « Ca rappelle un peu la Bretagne ; nous croisons même quelques beaux mulets et des sars de taille respectable ; les conditions de travail ne sont pas faciles, il faut jongler entre réglages et particules. Dans une eau verte et glauque, tout n’est qu’ombre et lumière diffuses. Les formes s’estompent, fantomatiques, on a vite fait de perdre ses repères, coincé entre le quai et cette masse sombre de 140 mètres de long. Quelques secondes ont suffi pour que je perde de vue la palanquée, et j’ai eu quelques difficultés à la retrouver, les plongeurs étant entre-temps passés sous la coque pour en examiner le côté tribord. Sous cette gigantesque masse, mon seul repère était le pâle reflet du soleil sur le fond vaseux. Avec une visi de moins d’un mètre, faire des images dans ces conditions fut un véritable challenge, d’autant que le temps imparti pour la mission était compté ; on réalise alors la polyvalence nécessaire au métier de plongeur démineur … »
Le lendemain, retour à l’arsenal pour une autre mission. Une mine à orin d’exercice a été déposée dans la même zone que la veille, et elle doit être retrouvée avant d’être soigneusement examinée avant toute manipulation. Pour ce faire, les démineurs disposent d’un outil sophistiqué, le sonar DUPM 2A, capable de relocaliser la position des objets rencontrés.
Christopher et son binôme habituel, Julien, gréent rapidement leurs « crabes » et basculent vers le fond, où nous les suivons. Christopher est au compas, alors que Julien scrute les échos affichés sur l’écran du sonar. Après une sérieuse séance de palmage, ils trouvent la mine accrochée à son crapaud dans une dizaine de mètres d’eau et la récupèrent. Ici aussi, l’ambiance quelque peu « jamesbondesque » de la plongée nous surprend : « On a l’impression d’assister à un tournage de 007… Sauf qu’ici, point de gadgets ; ce sont de véritables outils de travail que seuls des professionnels parfaitement entraînés sont capables de mettre en œuvre. Et la technologie employée n’a qu’un très lointain rapport avec celle de la plongée amateur. Mais elle ferait fantasmer n’importe quel plongeur… ».
Retour à la base en saluant au passage le PAN Charles de Gaulle : l’équipage au grand complet et en grande tenue attend sur le pont d’envol la visite de l’Amiral à l’occasion de la passation de commandant du bâtiment… Pour notre part, nous irons visiter le bâtiment support de nos plongeurs, le BBPD (Bâtiment Base de Plongeurs Démineurs) Pluton ; amarré non loin des locaux du GPD, il est de dimensions certes plus modestes. Il est équipé d’un caisson de recompression multiplace que les plongeurs démineurs sont aptes à mettre en œuvre. Le navire est en service depuis 1986 et équipé de tout le matériel nécessaire pour permettre des plongées jusqu’à 80 mètres, notamment une vaste plage arrière, ce qui facilite la mise à l’eau rapide de ses zodiacs grâce à la grue hydraulique. Il peut embarquer 12 plongeurs, 1 médecin et un infirmier, filer plus de 13 nœuds et possède une machine de 2 200 ch. Son autonomie maximale est de 13 700 km (7 400 nq) à 9 nœuds. Pour l’anecdote, l’un des derniers bâtiments de la Marine Nationale à porter le nom de Pluton était… un mouilleur de mines…
Notre troisième journée de reportage sera consacrée aux « Trasoum », autrement dit les travaux sous-marins, qui non seulement entrent dans les attributions du GPD, mais dont c’est de plus la spécialité. Nous rejoignons l’appontement au pied duquel différents travaux de soudure et d’oxycoupage doivent être réalisés. Une fois encore, l’ambiance est surréaliste : crépitements du chalumeau entrecoupés d’éclairs et grondements presque assourdissants des bulles composent un décor complètement inhabituel. Encore une autre facette du métier, et les missions dans ce domaine sont nombreuses et variées. Il faut savoir qu’outre les activités de déminage à proprement parler, la mise en œuvre d’explosifs (pour contre-minage par exemple), les travaux sous-marins, les plongeurs démineurs interviennent également à la suite de naufrages et participent à la recherche des disparus en mer, ainsi qu’à la destruction de containers dérivants et présentant un danger pour la navigation, ou encore à l’élimination sur demande du Préfet Maritime de carcasses de cétacés échoués ou tués lors d’abordages avec les ferries par exemple.
En guise de conclusion, une entrevue avec le Commandant du 3ème GPD apporte les réponses aux questions que nous nous posions encore :
– « Comme vous avez pu le constater, le métier de plongeur démineur comporte de multiples facettes; il est en permanente évolution, et sera amené à changer encore dans les prochaines décennies. Même face aux avancées parfois fulgurantes de la technologie, nous aurons toujours besoin d’hommes. Et l’on ne doit jamais oublier que le risque zéro n’existe pas, comme en témoigne l’anecdote du Pégase, bien connue dans le milieu du déminage : Il y a quelques années, le chasseur de mines Pégase, en mission dans la Manche, avait localisé une bombe sur un petit tumulus, au fond; les abords étaient clairs, et la manip prévue ne devait poser aucun problème avec les précautions d’usage. Ce que tout le monde ignorait, fait rarissime dans les annales du déminage, c’est que cette bombe reposait en fait sur l’épave d’une barge qui, elle, contenait une dizaine de tonnes de munitions. L’explosion ne fut pas tout à fait celle attendue… Néanmoins, aucun blessé ne fut à déplorer. Certes, certains progrès ont été décisifs, comme le découpage hydro-abrasif de certains types de munitions, ou l’emploi de robots qui s’apparentent de plus en plus à des « drones » sous-marins. Mais ils ne sont pas encore complètement autonomes. L’analyse du danger, l’interprétation et la prise de décision ne peuvent être prises par une machine en l’état actuel des choses. Peut-être verrons-nous un jour apparaître une génération de « maîtres-drones » ? L’avenir nous le dira. Mais le métier a encore de belles années devant lui, sachant qu’actuellement, on produit et on lance encore malheureusement à travers le monde davantage de munitions que nous ne pouvons en traiter. D’autre part, je ne me fais aucun souci sur la motivation de mes hommes : tous sont intimement convaincus de l’utilité et du bien-fondé de leur métier. Bien loin des clichés d’espionnage du 7ème Art, ce sont avant tout des hommes, professionnels, compétents, discrets … et passionnés.»
Les auteurs tiennent à remercier le Commandant et tous les plongeurs du 3ème GPD à Toulon pour leur accueil sympathique, leur disponibilité et pour les facilités accordées à la réalisation de ce reportage.
Texte et photos BLEUE PASSION
Alain Ponchon et Philippe Joachim, avec l’aide de Philippe Lecomte.
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EN DIRECT DE SIPADAN : malgré ces images qui nous sont bien entendu insupportables, 16 plongeurs actuellement à bord du CELEBES EXPLORER nous envoient des informations rassurantes, mantas, bancs de perroquets à bosse, bancs de barracudas, tortues et requins en nombre sont toujours au rendez-vous sur le parc marin….