Né à Hambourg en 1970, Gregor Törzs passe 16 ans à Los Angeles, où il étudie et travaille dans l’industrie cinématographique. D’abord attiré par les effets spéciaux, il devient ensuite directeur de la photographie. De retour en Allemagne, son pays natal, il se concentre sur la photographie et devient expert en techniques de tirage, notamment le tirage au platine. Dans sa démarche de photographe, Gregor Törzs attache une grande importance à la lumière naturelle et à la durée d’exposition de ses photographies. C’est aussi ce travail qui rend ses images si particulières et qui leur donne leur caractère ” surnaturel “.
Pour réaliser ” Ciel Lourd “, série constituée de photographies sous-marines, Gregor Törzs fabrique une structure pour son vieil appareil photo préféré afin de le rendre étanche. Les centaines d’heures qu’il passe alors sous l’eau lui permettent de capter des moments subaquatiques uniques. En 2014, il crée et fabrique le premier appareil photographique sous-marin au monde à posséder un négatif de très grand format (24×36 cm). C’est avec cet appareil qu’il réalise la série Ultramarine. L’artiste s’est également intéressé à la macrophotographie, photographiant notamment des insectes et des papillons (série Microtype n°1). C’est avec cette série, réalisée en 2010, qu’il effectue ses premiers tirages au platine, sur des papiers japonais faits main (tel que le razor thin gampi paper, d’une finesse extrême). Peu de laboratoires dans le monde maîtrisent aujourd’hui cette technique.
Vous avez une manière unique, voire picturale, de photographier la nature. Quelle est votre démarche?
Je pense que ce n’est pas quelque chose que l’ont décide à l’avance ou que l’on peut planifier. C’est au contraire, un acte qui se déclenche de manière organique. On évolue naturellement vers ce cheminement. C’est intimement lié à la manière dont on souhaite raconter une histoire. Cela peut paraître étrange, mais je ne m’assoie pas et ne réfléchis pas au fait de vouloir qu’une photo ai l’air d’une photo. Je suis convaincu par cet adage du design, qui dit que la forme découle de la fonction. Je pense qu’il est d’abord très important de comprendre l’émotion que l’on cherche à véhiculer, le style en découle alors naturellement. J’ai pour but, dans ma démarche, de retranscrire cette émotion. L’émotion principale, celle que je cherche à partager à travers mes images, est de l’ordre du souvenir, celui que l’on se remémore, un beau souvenir, qui serait empli d’une forme de nostalgie et de mélancolie faisant partie du passé. C’est un sentiment très particulier, car on se transpose dans le passé avec l’éventuel espoir que la même chose se produira dans le futur. Un souvenir est unique en ce sens là. On est dans l’instant présent, on pense au passé, et on se projette dans le futur. C’est cette émotion, que je cherche à retranscrire visuellement dans mes photographies. J’essaie donc, avec tout ce qui est en mon pouvoir, de communiquer le plus justement possible ce sentiment, ainsi que ce qui influence mes décisions. Ce style pictural, est à mon avis ce qui donne, en ce sens, le meilleur résultat.
Techniquement, comment obtenez-vous ce résultat ?
J’ai fabriqué mon propre matériel pour mes derniers travaux, sous-marins. L’appareil que j’utilise depuis 4 ans en photo sous-marine a été conçu par moi-même. Par la suite, nous avons fabriqué le prototype. C’est un énorme appareil analogue de 24/36 cm. En comparaison, il est 100 fois plus grand que les appareils numériques actuels de photos sous-marines qui prennent des clichés de 24/36 mm. Les dimensions hors normes de cet appareil font que le travail n’est réalisable que si les clichés sont pris avec de très grands négatifs. Normalement, en photographie sous-marine, nous utilisons un “dome port” qui permet d’apporter une certaine beauté puisqu’on évite l’utilisation du zoom de 33%. Toutefois, le désagrément, c’est que l’on crée une image virtuelle en haute définition avec une très grande profondeur de champs qui aplatie l’image et créant une espèce de courbure. Personnellement, je n’apprécie pas cette caractéristique qui fait que toute l’image est très précise (le premier plan et le dernier plan seront parfaitement nets). J’affectionne plutôt une profondeur de champs restreinte. C’est cette préférence qui m’a amené à construire mon propre appareil. Le choix de mes sujets entre également en compte. J’ai tendance à photographier des scènes, que je qualifierais de “silencieuses” où ne figureront pas des moments de grande excitation, tels que, par exemple, la gueule ouverte d’un requin. Cela n’empêche pas mes images d’être réalisées avec une très grande complexité. Prenez la photo de coraux, on passera devant en se disant “C’est une image de corail”, puis on reviendra dessus, attiré par un détail raisonnant. Il y a, en réalité, quelque chose de plus poétique, de plus émotionnel… Une émotion que, moi-même, je ressens lorsque je plonge et que je ne retrouve pas dans la photo sous-marine conventionnelle.
Quel type d’objectif utilisez-vous, et quels sont les matériaux que vous avez utilisé pour le fabriquer ?
L’appareil baptisé Ultramarine a été fabriqué de toute pièce. Il ne s’agit pas d’un appareil protégé dans un caisson étanche, c’est l’appareil lui-même qui a été conçu au préalable pour être étanche. L’objectif n’est pas interchangeable, l’appareil Ultramarine a été fabriqué avec un objectif de 155 mm “rodent stock lock format lens”. Même avec un plan large on obtient une image d’une profondeur de champs très restreinte. On retrouve cette esthétique dans les vieilles photos datant du tournant du siècle dernier. Grâce à la longueur de l’objectif et du très grand angle de celui-ci, on obtient une profondeur de champs très courte. L’avantage, concernant l’utilisation de négatifs très grand, est la réutilisation de ces négatifs, tels quels lors du tirage au platine. C’est un processus passionnant, offrant un rendu magnifique en exploitant les techniques les plus anciennes pour l’obtention de tirages en noir et blanc. On utilise une solution de platine liquide que l’on brosse sur un papier. En séchant, cette solution devient photosensible, on appose alors le négatif sur le papier que l’on place dans une machine sous vide pour comprimer ensemble le négatif et le papier. Grâce a une lumière UV, l’impression sous contact se fait. La grande taille de mes négatifs permet d’obtenir de grands tirages papier contenant énormément de détails. Pour ma série sous-marine, j’ai choisi de travailler exclusivement en noir et blanc. J’ai fait quelques essais en couleur mais le résultat ne convenait pas à l’émotion que je souhaitais faire transparaître à travers mes réalisations.
Depuis combien d’années plongez-vous et comment avez-vous découvert l’univers de la plongée ?
Cela fait 30 ans que je m’adonne à la plongée. J’ai commencé à dix-huit ans, âge auquel je suis parti à Portaventura dans les Caraïbes. Là bas, j’ai passé mon diplôme de plongeur. Je suis littéralement tombé amoureux de cette discipline. Évoluer en apesanteur dans l’élément liquide, “Mobilis in Mobile”, aucun autre milieu n’offre de pareilles sensations. Comme je le disais précédemment, j’ai l’impression de vivre dans un souvenir lorsque je suis immergé sous l’eau. Cela me provoque des sentiments que je ne saurais retrouver en aucun autre endroit de notre planète. Je pense que mes photos expriment bien mieux que mes mots les sensations ressenties lors de mes sorties en plongée sous-marine.
Quel est le message principal que vous souhaitez véhiculer à travers vos photographies sous-marines ?
Quand je suis immergé sous l’eau, dans les profondeurs de l’océan, je me laisse gagner par une émotion unique. Le sentiment étrange de vivre ou d’expérimenter quelque chose qui serait de l’ordre de la mémoire, et qui, je trouve, est une expérience incroyablement belle et unique. C’est ce que représente la plongée pour moi, le fait de se remémorer quelque chose d’intrinsèquement inné, ancré au plus profond de nous-même. Je recherche, à travers mes images, le moyen le plus fidèle de représenter ce sentiment. Lorsque, par exemple, je photographie des coraux anciens, et que j’immortalise ce moment, c’est ma manière d’exprimer un instant de beauté et de perfection éphémère.
Vous avez eu une exposition en octobre, comment cela s’est t-il passé ?
Je participe à de nombreux Salons d’Art, dont l’exposition Basel en juin dernier. Je suis très ému de savoir que des personnes qui ne sont pas des afficionados de la plongée, peuvent-être également touchés par mes photos sous-marines. Je n’ai eu que des bons retours de la part des visiteurs.
Quelle photo ou quel thème préférez-vous dans votre travail ?
Je n’ai pas réellement de préférence, mais en général la première photographie que je prends m’émeut, car elle symbolise la consécration de tout le travail et les efforts fournis lors de la réalisation du projet. Elle me conforte dans l’idée que j’ai fait le bon choix et que je suis allé dans la bonne direction.
Quels sont vos prochains projets ?
Généralement je n’aime pas parler de mes futurs projets quand ceux là ne sont pas encore initiés, mais je peux vous dire que je continue à travailler sur le thème des photos sous-marine et que j’ai récemment plongé dans la Mer Rouge en Novembre 2018 afin de poursuivre cette série avec l’Ultramarine.
Quels sont vos photographes préférés ?
Il y en a deux, tout d’abord Sarah Moon. J’admire énormément son travail. Ses images sont très touchantes. J’apprécie sa manière de raconter une histoire. C’est une artiste vraiment fantastique, qui me permet d’entrer dans un univers parallèle au delà de ses images. Elle arrive à créer des clichés uniques tout en abordant ses sujets de manière journalistique.
Le deuxième est Peter Beard, un artiste absolument authentique dans sa photographie. J’y trouve une qualité autobiographique, qui nous invite à rentrer dans son journal intime.
Aurélie Kula
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