Passionnée de plongée, Fabienne Rossier fonde la première association française dédiée aux requins, en janvier 2013. Elle est créée par la volonté de plongeurs d’agir pour mieux faire connaître les requins, de part leur rôle essentiel dans les océans et de gommer cette image de mangeur d’hommes qui perdure dans l’inconscient collectif. Depuis la création de l’association avec le soutien de leurs adhérents, les cinq membres fondateurs se battent tous les jours pour la cause des requins. « Aujourd’hui les requins sont massacrés à grande échelle dans la plus grande indifférence générale. Il est primordial que le gens réalisent leur importance, car notre vie est liée à la leur. Ils font partie de la chaîne alimentaire des océans, si nous les éradiquons, les océans vont mourir il n’y aura plus d’oxygène produit par les océans (qui produisent 83% de l’oxygène que nous respirons sur terre). Il y a donc une urgence pour la sauvegarde des requins […] ce sera les générations à venir qui vont pâtir de ce problème ».
Depuis combien de temps travaillez-vous chez Sharks Mission et comment l’association a t-elle évoluée ?
Sharks Mission est une association loi 1901, qui implique donc du bénévolat. Tout à été construit de zéro jusqu’à ce qu’est devenue l’association aujourd’hui. La particularité par rapport à d’autres associations, est que nous nous focalisons uniquement sur les requins. Les réseaux sociaux ont été primordiaux comme outils de communication ce qui nous a permis de diffuser nos messages de prévention ou encore la diffusion de focus sur toutes les espèces de requins, qui sont délivrées tous les jours sur nos supports. Le site web s’enrichit avec des articles scientifiques. Nous avons la chance de pouvoir traduire des articles (presque en primeur) venus de l’étranger, à la pointe des dernières découvertes en ce qui concerne les requins et de les rendre accessibles à nos abonnés, qui sont de plus en plus nombreux (environ 20 000 personnes).
Comment arrivez-vous à concilier votre vie professionnelle et votre vie personnelle ?
C’est beaucoup de travail personnel, surtout le soir et les week-ends. Heureusement nous sommes plusieurs à prendre le relais concernant l’information et la diffusion sur les réseaux sociaux ou pour la traduction des articles. Lorsque l’on est passionné, cette passion aide à réaliser beaucoup de choses et cela devient un moteur essentiel pour l’avancement des projets. Je ne pouvais pas faire autrement que de créer cette association et d’agir. En tant que plongeuse, j’ai eu l’occasion de rencontrer les requins et j’ai eu une telle harmonie à leur contact et un tel échange, qu’ils m’ont en quelque sorte poussée à agir et à prendre cette cause pour eux. Cela peut sembler utopique au premier abord mais je me devais de diffuser l’information et de rétablir les choses par rapport à ce qu’ils sont.
Ce sont des poissons extraordinaires dotés de sens exceptionnels. Ils existent depuis la création de la terre, ils n’ont quasiment pas évolués depuis et aujourd’hui ils sont en en cours d’extinction. Il faut donc mobiliser un maximum de personnes, il faut que les gens aient la bonne information et qu’ils soient vraiment au fait, que ces poissons sont indispensables et faire en sorte que les gouvernements prennent les mesures adaptées afin d’assurer leur pérennité, ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui. Même s’il y a eu des avancées et que les choses vont dans le bon sens, il reste encore beaucoup à faire. L’effet dévastateur de la pêche industrielle (qui racle tous les fonds) et qui dans ses filets prennent autant les thons que de requins. On appelle cela la “prise accessoire”, qui pêche plusieurs espèces de requins et ainsi, en sont exterminées les populations.
Quelles ont été les difficultés majeures que vous avez rencontrées au fil du temps en relation à votre poste et votre statut ?
Faire parvenir à intéresser un public qui n’est pas forcément le plus sensible à la cause des requins et de leur faire prendre conscience que leur rôle est essentiel. Il faut absolument les faire s’interroger sur ce problème et c’est certainement la chose la plus difficile. On se pose la question de « qu’allons nous léguer aux générations à venir ? ». Il est nécessaire d’avoir l’attention des gens et leur écoute pour leur expliquer la place essentielle du requin (leurs sens, leur rôle, les différentes espèces) et l’extermination qu’ils subissent à l’heure actuelle. Il faut faire en sorte que les gens soient de plus en plus responsables dans leur consommation, car tout le monde est concerné. On retrouve du cartilage de requin dans notamment des gélules vouées à soigner l’arthrose ou dans certaines cosmétiques (l’huile de foie de requin), c’est multiple et varié : ne pas acheter de steak de requin, vérifier que dans sa cantine d’entreprise ou celle des enfants qu’il n’y ait pas ce genre de plats proposés… il faut donc du champ d’action. Par exemple, contacter les établissements (en France) ou les restaurants lorsqu’ils nous sont signalés et faire en sorte en les sensibilisant qu’ils ne proposent plus de requin dans leur carte.
Avez-vous le même poids qu’un homme dans ce milieu là pour vous faire entendre, sentez-vous des inégalités ?
Les actions que nous avons menées et par le sérieux dont nous faisons preuve au quotidien aux vues de nos actions plébiscitées, je suis convaincue de notre crédibilité. Il est vrai que c’est un univers assez particulier qu’est celui des requins. Une femme dans ce domaine est d’autant plus particulier, ceci étant lorsque l’on explique les choses il n’y a pas de problème. Il y a bien évidemment de la misogynie de temps en temps et effectivement il faut toujours se battre un peu plus que peut-être le ferait un homme, mais on y arrive !
Combien de femmes travaillent à vos côtés ? Quel est le ratio hommes-femmes ?
Au niveau de l’équipe où nous sommes cinq, je suis l’unique femme. Il y a toutefois d’autres personnes qui œuvrent et soutiennent l’association, des adhérents qui aident et contribuent et je constate qu’il y a de plus en plus de femmes. J’ai autour de moi des femmes qui sont des combattantes et qui font tout leur possible pour aider la cause et divulguer l’information. Elles sont des appuies importants pour l’association. On ressent très fortement leur engagement et leur passion, ce sont des communicantes qui redoublent d’efforts. Il y a à la fois une sensibilité féminine et de l’autre côté le mordant et la rage qu’on les femmes pour s’imposer (ce qui peut paraître antinomique). Il y a des femmes qui ne plongent pas du tout mais qui sont tout aussi passionnées des requins et ont cette volonté de vraiment vouloir faire avancer les choses pour leur protection. Je suis moi-même parfois étonnée de voir certaines adhérentes vraiment investies, telles des amazones.
Avez-vous du soutien ?
Nos adhérents sont un soutien très important car ils s’engagent à 200% et mettent en œuvre des actions pertinentes. Ce sont des personnes qui sont fidèles et sur lesquelles nous pouvons compter. Cela a beau être un milieu associatif, il faut être prudent car il y a parfois des choses étonnantes. Lorsque l’on a son fil conducteur et sa philosophie, ça fonctionne et progresse dans le bon sens, tout en donnant des résultats qui donnent satisfaction. De voir certains messages de personnes qui changent leur perception vis à vis des requins et arrêtent de les chasser, ou des restaurant qui prennent conscience du problème et décident de ne plus proposer du requin au menu, ces petites victoires et ces résultats sont les plus gratifiants. Nous agissons en fonction de nos moyens, nous n’avons ni mécènes ni subventions, donc nous agissons comme nous le pouvons et avec nos moyens. Les conférences sont aussi des moyens de mobiliser les gens et de les faire interagir avec des spécialistes. C’est un volet que nous avons beaucoup développé ces derniers temps.
Quelles sont vos actions ?
Notre champ d’action est principalement accès sur l’information des consommateurs, et faire en sorte qu’ils deviennent responsables par rapport à leurs achats, au niveau des restaurants et des poissonneries. Au niveau de l’information spécialisées pour les plongeurs, nous mettons à dispositions des brochures pour les clubs de plongés au niveau international, qui œuvrent là où l’on trouve des requins et expliquent comment se comporter lors des plongées avec les requins en fonction de leur espèce. Il y a un énorme travail de sensibilisation et de mobilisation : la communication de la bonne information, autour d’actions, de pétitions…Nous imposons un rythme à la nature qui n’est pas le même que le notre et ce rythme est dévastateur. Les requins atteignent leur maturité sexuelle très tard par rapport à d’autres espèces (entre 15 et 20 ans pour la plupart des espèces). Ils ont souvent des petits qu’une année sur deux pour la majorité des espèces hormis certaines exceptions. Aujourd’hui avec la pression de la surpêche et ceci depuis plusieurs décennies, on se retrouve avec une grosse partie de la population des différentes espèces de requins qui sont en voie d’extermination. Pour certain, c’est plus de 90% de leur population qui a été exterminée. S’ils sont pêchés avant même d’avoir atteint l’âge de se reproduire cela accentue indéniablement leur extinction.
Ce sont des poissons que l’on ne peut pas élever comme nous pouvons le faire avec d’autres espèces de poissons, c’est une chose impossible. Donc tout ce qui est perdu et complètement perdu. Ce serait irréversible, d’où nos conférences et nos brochures pour informer les gens de l’urgence du problème. C’est une vraie bombe à retardement sur laquelle nous sommes tous assis.
Il faut faire venir à nous et faire prendre conscience, c’est beaucoup plus facile de mobiliser un maximum de gens s’ils comprennent les enjeux, il y aurait plus de poids au niveau des décideurs et des politiques, qui seront à même de prendre des décisions et permettront de prendre les mesures nécessaires pour protéger efficacement les requins. Au niveau de la pêche industrielle, il y a des choses extrêmement simples à mettre en place, avec des systèmes qui existent et qui sont performants, mais malheureusement les gouvernements n’obligent pas les chaluts à s’en équiper. Il existe un système qui permet de repousser les requins (par exemple dans la pêche aux thons), il suffirait que les filets soient équipés de ses systèmes qui repoussent les requins en agissant sur les ampoules Lorenzini, qui les perturbent C’est un système qui a été vérifié et cela éviterait d’avoir ces requins pris dans les filets en prise accessoire, qui présente des milliers de requins. Ce sont des mesures très peu couteuses, voire modestes qui pourraient sauver la vie de nombreux requins. Il faut malheureusement faire pression sur le gouvernement et nous espérons que les citoyens aient de plus en plus un esprit critique. Il est important aujourd’hui qu’ils se donnent et la peine de s’intéresser au sujet et prennent assez vite cette cause pour les actions que nous pouvons mener en tant qu’association.
Quel est l’impact face à vos actions ?
Ce n’est pas vain ce que nous faisons. Nous avons eu énormément de témoignages lors du Salon de la Plongée, où nous avons été très sollicités et ce fut très gratifiant. Nous avons également un programme d’aide à la recherche scientifique avec un spécialiste (le docteur Mauricio Hoyos Padilla) qui œuvre au Mexique à l’île de Guadeloupe avec les Grands Blancs et l’Archipel des Revillagegido avec d’autres espèces. Nous proposons aux gens d’aider à financer l’achat des balises, des tags, et des kits de prélèvement pour les requins. Plus nous connaîtrons les espèces (car nous sommes totalement ignorants et nous avons encore énormément à apprendre), plus nous serons à même de pouvoir mieux les protéger.
Nous permettons donc avec ce projet, d’adopter en quelque sorte un requin et nous lui faisons des expéditions de marquage en consultant chaque requin qui est numéroté. La personne reçoit ensuite les informations et les caractéristiques de celui-ci (taille, sexe, espèce etc…) c’est un processus assez long. Quand la balise est récupérée par le scientifique on peut communiquer le trajet du requin. Les fonds sont transférés à Kakunja (association scientifique) pour aider à financer les achats de balises. C’est une aide directe à la recherche scientifique afin d’avoir une meilleure connaissance des requins.
Nous avons différentes manières d’agir, j’ai réalisé le premier carnet de coloriage éducatif à propos des requins. Il s’agit d’une planche de dessins types art thérapie qui est autant destinées pour les adultes que les enfants. Pour chaque espèce représentée il y a un descriptif de l’espèce. C’est à la fois ludique et éducatif, c’est un travail de sensibilisation.
J’ai également rédigé un ouvrage qui s’intitule « Sharks My Feelings » afin de faire ressentir aux personnes qui ne mettent pas la tête sous l’eau, et qui ne verrons certainement pas de requins lors d’une plongée sous-marine, de leur faire ressentir le contact des différentes espèces. C’est un récit de mes rencontres avec les requins, sur les différents endroits du globe et mes expériences personnelles. J’y développe les menaces qui pèsent sur eux et tout le cheminement qui a conduit à l’association en 2013. Ceci à été le déclencheur de ce qu’est l’association aujourd’hui.
Propos recueillis par Aurélie Kula
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