L’humeur de Francis Le Guen
Parce que des fois, faut quand même pas déconner !
Crédits musique : Erwan & Eric Le Guen
Moi pour plonger dans l’eau , je n’aime pas trop prendre le bateau… Non pas que j’ai le mal de mer mais j’ai du mal à supporter l’ambiance de guerre civile qui parfois règne à bord des bateaux de plongée. Je m’explique.
Vous vous êtes levé tôt, vous êtes ultra motivé par la plongée sur cette épave que, déjà la dernière fois, vous n’avez pas pu la faire… Parce que (rayer la mention inutile) :
Votre bouteille n’était gonflée qu’à 120 bars – Il y avait trop de vent – L’eau était trouble – Votre moitié vous à fait le coup du «j’ai plus d’air» alors que la descente n’était pas commencée ! – L’imbécile qu’on vous avait attribué d’office comme buddy avait les oreilles bouchées. Résultat, après une minute d’efforts vous êtes descendus… sur le sable.
Autant dire que ce matin, vous êtes bien à cran et qu’on ne va pas vous la voler cette fois, cette fameuse épave. Raison de plus pour mettre toutes les chances de son côté ! Déjà, embarquer, et vite ! Quitte à écrabouiller les femmes et les enfants. Et s’asseoir ! Avec le sac de plongée bien entre les jambes. Ensuite, se positionner juste devant une bouteille (une belle), de façon à bien marquer son territoire.
«Cette bouteille, c’est la mienne !»
Parce que, je sais pas si vous avez déjà remarqué, il y a toujours sur les bateaux de plongée un nombre de bouteilles limité, en principe gonflées, sagement alignées dans leurs supports au centre du bateau. Avec deux rangées de pingouins de part et d’autre. Sauf que c’est un peu le jeu des chaises musicales : on a toujours l’impression qu’il en manque, des bouteilles… Mais si, il y en a toujours une bonne quinzaine neuves, dodues, un petit scotch millésimé de bon aloi placé sur le joint. Et puis les autres. Les bouteilles. Ecaillées, vieilles, moches ! Sans scotch, avec un robinet «non standard», des sanglages bizarres, obsolètes : on se demande même si elles sont gonflées… Pas de ça Lisette !
D’ailleurs, il y en a toujours une de Lisette à bord, bien loin de cette problématique. De fait, Madame erre, livide, le visage bouffi dans la cagoule serrée. Il faut d’abord qu’elle vomisse !
Car la malheureuse est plongeuse par amour ! Déjà sévèrement houspillée depuis le matin par son bonhomme qui craint une bavure de dernière minute, elle se fera aussi copieusement engueuler à la sortie, même pas sortie de l’eau, elle y est habituée. Entre deux hauts le coeur, elle contemple avec envie ces plongeuses émérites qui semblent prendre plaisir à cette activité qu’elle ne pratique elle même que pour accompagner son conjoint sans y trouver le moindre attrait…
Pendant que Lisette se vide par dessus bord, et que d’autres badauds cherchent encore où ils vont s’asseoir, vous vous êtes emparé de votre stab que vous sanglez illico sur la bouteille de votre choix. C’est l’étendard de Scott au Pôle sud, le fanion d’Hillary sur l’Everest, le drapeau lunaire : une prise de date, une conquête, une reconnaissance de territoire ! C’est bouteille, c’est là VOTRE, et le premier qui y touche…
Oui parce qu’Il arrive que deux plongeurs tentent d’enserrer la même (la bouteille, pas Lisette…). Alors, les deux mâles s’affrontent, se jaugent, de part et d’autre de l’objet convoité. Taureaux palmés, c’est à qui sera le plus décidé, le plus légitime. L’éternel dilemme du joueur de pétanque pour savoir qui est le plus près du cochonnet, qui a la plus grosse… Laaa, tout s’est bien passé : le couard mis en fuite vous a tourné le dos caoutchouté et s’affaire ailleurs en ronchonnant…
Nouvelle précaution : verrouiller le butin ! Cette fois, vous arrachez le scotch (preuve que vous êtes bien le premier : cette bouteille, c’est la vôtre !) et installez virilement le détendeur. Tour de clé ! Et mise en pression par dessus le marché. On ne sait jamais : des fois que la bouteille n’ait pas les 200 bars réglementaires… Il serait encore temps d’en capturer une autre !
Laaa… Pfff… Il est temps de se rasseoir, rasséréné et un peu essoufflé par tant d’émotions tandis que le bateau danse dans la houle en direction de… L’épave !
Lisette ! Assieds toi bordel ! Tu vas glisser ! Aaaah, trop tard. Au milieu des paquets de mer, on se passe la malheureuse de mains en mains, jusqu’à la caser à côté de son conjoint. Qui, magnanime, lâche un laconique : «T’inquiètes, en bas, ça ira mieux…»
La tension nerveuse est à son comble. Et Lisette qui n’en finit pas de monter son détendeur. A l’envers… Pour la cinquantième fois, vous énumérez la check list pour être certain de ne rien avoir oublié. Et être le premier dans l’eau ! Pensez, il y en a même qui n’ont pas encore choisi leur bouteille ! Ils vont se retrouver avec une de ces merdes à peine gonflées… Peut être même avec le bi qui rouille à même le sol… Ah Ah !
Alors, dans ces conditions, c’est énervant de constater qu’il y a toujours à bord un type très calme, serein, indifférent au drame qui se joue à chaque embarquement. Un suisse, à tous les coups. Forcément, il est venu avec sa bouteille, lui. Cette bouteille : c’est la sienne !
Ca y est, on est sur site ! Palmes, masque… Lisette ? Qu’est ce que tu fous ? Il n’y a plus qu’à capeler la bouteille… C’est alors que, venu du fin fond du bateau et dernier prêt, entre en scène le moniteur avec toute son autorité naturelle. Pressé, compétent, blasé, sourire commercial aux lèvres, voilà qu’il est en train de démonter tout votre attirail pour y mettre sa stab et son détendeur !
Lisette ! Attends…
Mais déjà, le moniteur a attaqué le briefing. Eh oui… Cette bouteille que vous avez amoureusement sanglée et préparée au petit poil : c’est la sienne !
Texte : Francis Le Guen
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également pour moi dernier click c est fait