Francis Le Guen lance une nouvelle collection aux Editions Glénat : Carnets de plongée. Des livres d’aventure, de passion, qui nous invitent à vivre l’épopée sous-marine de l’intérieur. C’est à Port-Miou, où il nous a entraînés pour une plongée dans la résurgence d’eau douce, qu’il nous a présenté le projet. Sortie le 5 septembre !
FRANCIS LE GUEN : HOMME ORCHESTRE
Difficile de définir Francis Le Guen en un mot, tant il a su mettre de cordes à son arc. Auteur, photographe, journaliste, explorateur, spéléologue, chacun de ces termes le définit mais ne suffit pas à faire le tour de l’homme. Il est tout cela à la fois. Dans l’eau depuis plus de 40 ans, des grottes australiennes aux sources méditerranéennes, il n’a cessé d’explorer, d’avancer, de créer. On lui doit notamment la naissance de Plongeurs International dont il a longtemps été rédacteur en chef. On lui doit aussi des séries et des chroniques télévisées qui nous ont emmenés aux quatre coins du monde, des documentaires, des livres, autant de façons d’explorer encore toutes les facettes du monde sous-marin, dans l’eau douce ou l’eau salée.
LE GOÛT DE L’AVENTURE PARTAGÉE
Cette fois, il nous emmène à l’aventure à travers une nouvelle collection à paraître chez Glénat. Dès le 5 septembre, les deux premiers tomes vont ouvrir le bal : « Narcoses », écrit par Francis ; et « Trésors », écrit par Emmanuelle Levasseur, titulaire d’un niveau IV de plongée loisir et du classe 1B professionnel, aujourd’hui journaliste indépendante, après avoir été notamment rédactrice en chef adjointe du magazine Apnéa pendant cinq ans, puis co-fondatrice et rédactrice en chef de Tribu Snorkeling pendant deux ans. Et si les parcours de Francis et d’Emmanuelle diffèrent, on retrouve dans leurs pages le même goût de l’aventure partagée, la même faculté à capter les moments forts qui transforment une plongée en voyage : leurs ouvrages peuvent se lire comme des recueils de nouvelles, dont certaines ne font que quelques pages, mais chez eux tout est vrai, et les histoires qu’ils nous racontent sont celles d’hommes et de femmes bien réels.
NARCOSES
Dans « Narcoses », Francis Le Guen nous fait goûter à l’ivresse des profondeurs, à la découverte de grottes et de puits sans fond, de vortex et de tourbillons : un voyage initiatique aux quatre coins de la Planète Bleue, au Mexique, en Indonésie, aux Philippines, aux Maldives, ou plus près de nous en Bretagne, en Grèce, en Sardaigne ou en Allemagne… Les récits de Francis nous emmènent dans les coulisses de tournages, nous racontent ses expériences mais aussi celles d’hommes et de femmes qui ne cessent de repousser leurs limites dans la quête des profondeurs, et nous font partager leurs émotions.
TRÉSORS
Dans « Trésors », Emmanuelle Levasseur nous entraîne dans la quête fiévreuse des trésors engloutis. Lentement, patiemment, en enquêtrice, elle est allée à la rencontre de ceux qui continuent à chercher, à sonder, à rêver de jonques chargées de porcelaine, de galions de retour des Indes naufragés sur des récifs inconnus, de cargaisons magnifiques perdues dans les eaux glacées de la Baltique. Car si la chasse au trésor est un rêve d’enfant, une poignée d’hommes à travers le monde en ont fait leur réalité, prenant parfois des risques insensés, gagnant beaucoup ou perdant tout, mais consacrant en tout cas leur vie, le regard brûlant et l’espoir toujours chevillé au corps, à la recherche des épaves chargées d’or, de pierres, ou de vaisselle précieuse qui jonchent toutes les mers du monde.
AU CŒUR DE L’EXPLORATION SOUS-MARINE
Chaque volume de la collection sera entièrement consacré à un thème, que les auteurs devront réinventer, comme les requins ou les épaves si souvent abordés. En faisant la part belle à l’aventure humaine, ces auteurs-conteurs vont se donner la main pour nous emmener loin, au cœur de l’aventure, nous rappeler que l’exploration sous-marine est bien plus qu’un loisir. Un frisson, un mode de vie, dans les pas des pionniers d’hier, dans le sillage des aventuriers d’aujourd’hui.
ET DÈS LA RENTRÉE
Vous retrouverez également la plume de Francis dans chaque numéro de Le Mag : il nous proposera une chronique régulière, et viendra saupoudrer nos pages d’un peu de sel et de piment. Avec passion, en toute liberté.
NARCOSES – FRANCIS LE GUEN
Extrait du chapitre “Déculottée aux Maldives” :
Les courants marins sont des pièges dont il faut se méfier, même s’ils agissent le plus souvent en surface, à l’horizontale. Mais rien ne prépare le plongeur à leurs équivalents verticaux : ces courants aspirants, tourbillons aux frontières de la légende, capables d’entraîner un homme tout équipé au fond !
J’étais aux Maldives lorsque j’ai été confronté à ces terribles courants descendants pour la première fois. Nous étions en reportage pour un magazine qui m’avait commandé des photos de charme sous-marines. L’un de mes amis possédait une base dans l’archipel et s’était occupé de la logistique. Nous avions obtenu une autorisation de plongée exceptionnelle dans des atolls de l’extrême nord, habituellement interdits aux touristes. Nous étions officiellement là pour réaliser un inventaire de la faune et des sites intéressants pour le gouvernement… En effet, dans un pays musulman, il n’aurait pas été de très bon goût d’exposer une fille déshabillée sur des sites fréquentés par les autochtones. Or, pour je ne sais quelle raison, notre client tenait absolument aux Maldives comme décor. En plus de l’équipement de base, nous voyagions avec des miroirs, des pieds photo, des réflecteurs, des tonnes de maquillage waterproof et une collection de maillots de bain hors de prix dont le plus décent consistait en quelques centimètres carrés de tissu avec beaucoup de ficelle…
Pour l’occasion, j’avais recruté Ko, une fille splendide et sportive qui avait suivi avant de partir un cours accéléré de plongée. Ce serait bien suffisant puisque les séances de prises de vues devaient se dérouler à faible profondeur, au milieu des poissons coralliens. Nous allions donc passer plusieurs semaines en autarcie à bord d’un dhoni*, le bateau traditionnel maldivien fabriqué en bois de cocotier. Nous étions sept : Didier, Ko, mon assistante, moi-même et les trois hommes d’équipage maldiviens. Je m’inquiétais un peu à leur sujet. Chacun d’eux avait plusieurs épouses dans différentes îles, et ceux qui ont voyagé là-bas savent à quel point les marins locaux savent s’accommoder de la religion quand il s’agit de séduire une Occidentale. Bref, ils n’avaient pas froid aux yeux et n’en perdirent d’ailleurs pas une miette…
Le séjour se déroule à merveille au milieu des éclairs de flash, et je grille quantité de rouleaux de pellicule selon le planning de travail établi. Cocotiers, plages désertes, grand bleu, récifs de corail, farandoles de requins, grottes emplies de poissons de verre, épaves hérissées de coraux mous multicolores, énormes poissons Napoléon : autant de décors de rêve où Ko étincelle. Sans compter l’exaltation d’être les premiers à plonger là. Que du bonheur ! Jusqu’à cette plongée dans une passe, une ouverture dans la barrière de corail reliant le lagon au grand large… Nous sommes trois cette fois-là, cherchant des requins. Ko ayant fait des progrès, nous pensons pouvoir la faire descendre en sécurité jusqu’à trente mètres de profondeur. Elle porte un string magnifique en « peau de serpent » qui va s’harmoniser parfaitement avec les squales.
Mais nous n’avions pas prévu ce qui allait suivre… À marée descendante, le lagon se vide dans la mer, occasionnant un fort courant. À cause de la forme particulière de la passe, très étroite, se produit à cet endroit un effet Venturi* où le courant accélère considérablement. Or, nous sommes juste en dessous ! Ko est assise en apnée sur un cerveau de Neptune*. Didier lui amène régulièrement de l’air avant de sortir du champ, le temps que je fasse une rafale de photos. Les requins sont là, tournant en farandole.
Subitement, nous recevons une enclume sur la tête et sommes aspirés d’un seul coup en profondeur ! Le premier instant de surprise passé, nous essayons de nous raccrocher aux branches… de corail, qui cassent net tandis que la descente s’accélère. Didier, malgré ses imposantes cuisses d’ancien champion de natation, fait du surplace avant de renoncer. Trop d’efforts nous conduiraient immédiatement à un essoufflement fatal. Très respectueux du monde marin, je suis catastrophé par les dégâts que nous occasionnons en râpant le tombant pour essayer de stopper notre descente. Mais l’heure n’est pas aux considérations écologistes…
Je commence vraiment à m’inquiéter quand je constate que, malgré ma bouée gonflée à bloc, je ne remonte pas d’un pouce ! Spontanément, nous sommes parvenus à nous regrouper, moi ceinturant Ko par la taille tandis que Didier lui donne de l’air avec la bouteille de secours qu’il a fixée comme il a pu. Heureusement, j’ai réussi à accrocher en catastrophe l’appareil photo et les flashs sur mon gilet* pour me libérer une main. Mais je sais que nous sommes trop bas. La tête me tourne, je suis narcosé. La dernière fois que j’ai regardé mon profondimètre*, il indiquait « – 62 m »… Je me force à expirer profondément pour éviter l’accumulation de CO2 dans les poumons et à ralentir ma respiration. Il ne faut pas laisser la panique prendre le pas sur la raison, même si notre situation me semble bien précaire : la descente infernale continue…
Ko est complètement ivre, terrassée par la narcose, ne réalisant sans doute pas ce qui est en train de se passer. Tout est arrivé si vite. Elle respire un peu trop rapidement. Enfin, tant qu’elle respire… Je sais aussi que les bouteilles se vident : nous n’aurons bientôt plus beaucoup d’autonomie à cette profondeur…
TRESORS – EMMANUELLE LEVASSEUR
Extrait du chapitre : “La veuve de la Baltique”
Plonger en Mer Baltique, c’est accepter de descendre dans l’eau verte, froide, de parcourir des fonds plutôt monotones. Souvent on y fait des bulles sans grande saveur, mais quand on est scaphandrier pro, on ne rechigne pas sur la bouteille. Quand il faut y aller, il faut y aller !
Je me souviens de ce jour où les trois vieux sont venus me voir à la brasserie. Matti, Yrjo, et Vesa son frère. Tout le monde les a toujours appelés « les trois vieux » dans le quartier. Nés à deux pâtés de maisons de la brasserie, ils n’ont jamais bougé de Mariehamn. Toujours ensemble, d’abord à l’école, puis associés comme patrons-pêcheurs, et aujourd’hui à la retraite, à boire un peu plus le coup et battre les cartes à ma terrasse. Des habitués, presque de la famille depuis qu’ils m’ont mis sur le coup de l’épave. Ils ont la gueule rugueuse, tannée par le soleil, creusée de rides profondes comme les empreintes de leurs traques extraordinaires – eux, c’était à la morue.
Bref, ils pêchaient encore à l’époque. J’ai vite compris qu’ils n’étaient pas là que pour boire un coup. Ils venaient m’exhorter à fouiller le fond de la mer.
− Il y a un truc sous l’eau Kristian, je te jure ! Depuis plusieurs jours qu’on pêche dans cette nouvelle zone, vers Föglö, tu sais à la Pointe, on remonte des tas de merdes dans nos filets. Et l’autre fois une bouilloire et de la porcelaine !
− Ouais, mais sûrement pas du poisson ! s’emportait Matti. Faut que tu viennes voir Kristian. C’est certain, il y a quelque chose là-dessous ! Les deux autres ont approuvé d’un signe de tête. Ils m’ont convaincu.
…
J’ai d’abord repéré le coin tout seul. C’est à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Mariehamn. L’été dernier, à la première fenêtre météo, j’ai organisé une petite expédition avec trois copains, comme moi plongeurs certifiés. Nous avons choisi de descendre à deux. Niko m’accompagne, les autres restent sur le pneumatique en sécurité surface.
Nous sommes solidement équipés : combinaison étanche, casque de spéléo avec double éclairage intégré et deux phares à Led* de 1500 watts chacun. Enfin une bi-bouteille de 15 litres gonflée à bloc. L’eau est verte. Et encore froide, à peine 10°C. Nos phares pointés vers le fond, nous nous laissons couler sans précipitation, à la même vitesse. À 10 mètres de profondeur la visibilité se réduit. 15 mètres, 20 mètres, 30 mètres, 40 mètres : la lumière parvient difficilement jusqu’ici et nous évoluons dans une sorte de pénombre.
…
Nous progressons sur une vingtaine de mètres en balayant le terrain avec nos phares ; ils améliorent le peu de visibilité − deux mètres maximum ; j’avais pourtant choisi un jour ensoleillé… Mais à 45 mètres de profondeur, il ne faut pas s’attendre à grand-chose.
Quelques belles étoiles de mer crachat d’amiral* colorent le paysage, une morue solitaire traverse deux secondes mon faisceau, j’aperçois une petite sole fichée dans le sable… Nous sommes au paradis du poisson plat. Rodolphe est à côté de moi, nous suivons la même parallèle. D’un coup un turbot* décolle du fond, juste devant moi. Une belle bête, il doit bien mesurer 60 cm. Il prend la tangente à droite, je le suis du regard quelques secondes, et là, dans son prolongement, je vois une ombre imposante se dessiner, qui crève l’immensité verte. Je fais signe à Niko et continue d’avancer, le cœur battant…
C’est un bateau ! J’ai l’impression de rêver. Il est debout sur sa quille. Tout de suite, je gonfle une bouée de balisage* pour marquer le site et indiquer notre position aux copains restés en surface. Puis nous entamons le tour de l’épave. La coque est en assez bon état dans l’ensemble, plus abîmée par endroits, il manque le tableau de poupe. Nous explorons petit à petit l’ensemble du vestige à la lueur de nos phares. C’est un deux mâts. Il doit faire une vingtaine de mètres de long, une demi-douzaine de large. Une grosse baudroie* attend sur le pont avant à l’affût, le leurre qu’elle porte au-dessus de son énorme gueule brandie dans le courant. Les capelans* vont et viennent. On aperçoit leurs reflets dorés entrer et sortir partout de l’épave. Nous poursuivons vers l’arrière du bateau. Un petit banc fuit la soute que j’investis ; elle semble vide. Rodolphe est à côté, dans une autre. Vide également. Je passe à une suivante, plus à l’arrière. J’aperçois quelques bouts de céramique, ramasse un morceau d’assiette et une tasse, et fourre le tout dans les poches de ma combinaison…
Texte : Isabelle Croizeau