Texte & illustrations : Steven SURINA
Les requins sont communément décrits comme des animaux stupides dirigés par leur instinct de tueurs et ils sont aussi les victimes de nombreuses autres hypothèses erronées. Ces fausses croyances, couplées avec une crainte injustifiée, sont si profondément ancrées dans l’esprit des gens qu’il faut beaucoup d’efforts pour redonner une image objective de ces animaux. La réputation des requins a été établie au milieu des années 70, avec « Les dents de la Mer », film qui présentait l’image du requin tueur mangeur d’hommes et qui ne fut jamais réellement contestée par les scientifiques. Afin d’arrêter le massacre des requins, l’opinion générale selon laquelle les requins sont dangereux et vicieux doit être inversée et la vraie nature de cet animal mise en évidence. Une bonne façon d’y parvenir est d’interagir avec eux pour démontrer que l’on peut profiter de leur présence sans incidents. Afin d’y parvenir, il faudra mettre toutes les chances de votre côté et donc prendre en compte leurs habitudes comportementales telles que présentées dans Le Mag N° 56 dans notre article précédent.
Définissons les codes qui régissent ces rencontres entre l’homme et le requin pour avoir une vision finale complète de ces interactions, ainsi que pour démentir les idées reçues. Quelques recommandations simples à respecter pour plonger avec les requins en totale sécurité concluront cet article.
Codes de l’interaction
Il est possible d’interagir et de communiquer avec les animaux marins comme nulle part ailleurs sur terre grâce à trois particularités principales :
– La liberté de mouvement : En plongée vous êtes en totale suspension dans l’eau, affranchi de la pesanteur : votre liberté de mouvement est totale. Un plongeur se doit d’utiliser cet avantage afin de communiquer avec son corps.
– La densité de la vie : Sur un récif, vous cohabitez avec un certain nombre de membres des divers échelons de la chaîne alimentaire sur un territoire restreint.
– Les propriétés du milieu aquatique : L’eau a des propriétés que l’air n’a pas. Elle est, en particulier, incompressible et les vibrations y voyagent plus vite que dans l’air. Beaucoup d’animaux marins comme les requins ont la capacité de sentir ces vibrations. Ils peuvent ainsi entendre vos battements cardiaques, vos mouvements et détecter votre stress.
En tant que groupe
En observant la nature, vous comprendrez vite qu’évoluer en groupe est un outil de protection pour bon nombre d’espèces. Les animaux évoluent en bancs ou seuls, en fonction de leurs intérêts. Pour les mêmes raisons, les animaux marins ne vous percevront pas de la même façon si vous êtes seul ou dans un groupe de plusieurs plongeurs. Rester en groupe compact sera utile pour l’observation d’espèces timides parce que vous adoptez un comportement de proie. En revanche, si tout le monde se disperse, vous ferez fuir l’animal car vous devenez intrusif. Par contre pour certaines espèces de requins, rester en groupe ne développera pas d’intérêt particulier pour vous. Le requin est comme le lion dans la savane qui attend qu’une gazelle blessée, voire âgée s’écarte du troupeau. Les requins potentiellement dangereux, par exemple, s’intéresseront à vous si vous vous tenez à l’écart du groupe. Cependant, si tout le monde fait de même, vous le ferez fuir : vous serez devenus intrusifs parce que vous n’êtes plus en groupe compact.
Vos chances d’interaction seront basées sur votre degré d’intrusivité. Chaque animal sera différent, chaque situation sera différente et, donc, chaque interaction sera différente.
En étant seul
Même si les animaux marins sont très différents, il y a des similitudes sur la façon dont chacun d’entre eux interprétera votre position, votre posture et plus généralement ce que vous faites de votre corps. Il est évident que vous paraîtrez plus imposant aux yeux de l’animal en vous tenant à la verticale. Malgré le fait qu’il s’agisse de 2 espèces totalement différentes, ceci est en quelque sorte un langage que les animaux, nous y compris, sommes programmés à comprendre de façon innée. L’agressivité se détecte instinctivement. Les choses sur lesquelles nous pouvons agir sont notre taille et notre posture. La taille varie avec la position générale du corps alors que notre posture permettra d’indiquer notre attitude, agressive ou amicale. Il existe des positions neutres dans lesquelles l’animal sera plus enclin à nous ignorer. En vous tenant droit, vous ne ressemblez pas à un animal marin, vous êtes donc neutre. Une position neutre vous permettra d’observer l’animal dans son milieu naturel, sans susciter sa curiosité.
Champ visuel
Si un requin vient vers vous et que vous lui faites face et restez immobile, il tournera et s’en ira en raison de sa timidité. Mais il tentera de revenir en dehors de votre champ de vision. Si vous vous tournez, il repartira. C’est un comportement classique chez les requins. Le contact visuel est très stressant pour eux : ils feront toujours demi-tour si vous les regardez dans les yeux. Ils essayeront ensuite de sortir de votre champ de vision avant de tenter, ou pas, de revenir plus près. Les requins ont des organes sensoriels à longue et à courte portée. Plus ils s’approchent, plus ils en apprennent. C’est pourquoi certains requins essayeront de se rapprocher hors de votre champ de vision. Cela satisfait leur curiosité, sans générer aucun stress. Rien à voir avec du vice pour vous attaquer par surprise.
Profondeur
Une chose très importante pour les requins : votre profondeur. Comme nous l’avons déjà expliqué, être proche de la surface, en pleine eau ou sur le fond ne renvoie pas le même message. Ce sera chaque fois différent. Certains jours, être au fond vous permet d’observer l’animal car vous n’êtes pas intrusif et d’autres fois cela n’éveillera même pas la curiosité du requin, qui se contentera de disparaître. À l’inverse, être proche de la surface créera parfois l’intérêt du requin pour vous en raison de votre intrusivité. Les requins sont des animaux complexes. A l’intérieur même de la poignée des requins potentiellement dangereux, les différences sont considérables. Certains préfèrent évoluer près du fond, d’autres en pleine eau. Chaque situation est différente. Un jour, exception qui confirme la règle, vous pourrez observer en pleine eau un animal régulièrement observé proche du fond, et il pourra se montrer très curieux, alors qu’il est timide habituellement.
À éviter
Face à un requin à caractère inquisiteur, si vous tentez de vous enfuir, il vous suivra aussitôt car vous réagissez comme une de ses proies naturelles. Il est programmé pour agir ainsi de façon innée. C’est exactement le même comportement que celui d’un lion ou d’un éléphant dans la savane.
Si vous vous agitez sous l’eau, vous enverrez également des signaux de proie qui inciteront le requin à se rapprocher. Dans le cas inverse, face à un requin craintif ou timide, tels que présentés dans notre précédent article dans Le Mag N° 56, les signaux du degré de stress que vous envoyez pourront faire fuir les requins.
À encourager
Dans le règne animal sous-marin, l’intégralité des espèces se déplace horizontalement. Dans des conditions de turpidité de l’eau ou aux heures de la journée où la visibilité est réduite, adoptez une position verticale. Vous paraîtrez ainsi plus gros et plus imposant que si vous restiez à l’horizontale. De plus, l’animal ne pourra aucunement vous confondre avec une quelconque autre espèce sous-marine.
En restant calme, les sons engendrés par vos pulsations cardiaques, votre respiration et les signaux électriques envoyés par vos muscles et votre cerveau n’apparaîtront pas comme ceux d’une proie stressée ou blessée. Ainsi le requin, une fois encore, ne risquera pas de vous confondre avec l’une de ses proies et n’aura guère d’autre intérêt pour vous que ce qui a tout d’abord stimulé sa curiosité.
Le plus souvent en plongée la rencontre tant espérée s’apparente plus à l’observation d’une fuite qu’à une rencontre à proprement parler! Avec notre matériel, nos bulles et notre odeur, souvent à base de crème solaire et de néoprène, nous leur inspirons plus de crainte et de méfiance qu’autre chose.
Les idées reçues
Le requin idiot
Un comportement, une attitude, sont une réponse à un besoin, à une envie ou à d’autres facteurs et ils requièrent une action. Si une situation impliquant les mêmes facteurs de causalité vient à se répéter, le requin n’a pas à réapprendre un comportement déjà quasi devenu automatique… à condition, naturellement, qu’il ne l’ait pas déjà été oublié.
Les requins ont été catalogués comme étant des animaux primitifs, instinctivement guidés par la seule volonté de tuer, ce qui implique un faible niveau d’intelligence avec un répertoire comportemental réduit, assorti d’une capacité limitée à s’adapter aux situations. Pourtant, ceux-ci savent très bien répondre à des situations diverses et ils sont capables d’assimiler ainsi que de prendre des décisions. Ils sont également capables d’apprendre par observation, par mémorisation, et, par conséquent, de se souvenir d’un comportement appris face à une situation, ce qui démontre une mémoire à court et à long terme.
Le sang humain
L’une des légendes les plus aberrantes sur les requins serait qu’ils sont attirés par le sang humain ! Les hommes ont évolué sur terre et non en mer. Ils ne partagent donc pas leur milieu avec les requins. De plus, les requins n’ont jamais développé d’attirance particulière pour l’homme en tant que proie pas plus qu’ils ne sont sensibles aux fluides du corps humain. Malgré la composition du sang humain qui présente des similitudes avec celle des mammifères marins, phoques, loutres, dauphins…etc qui sont des proies pour certaines espèces, aucun incident n’implique automatiquement le sang humain comme catalyseur initial d’une attaque.
Bien sûr les requins apparaissent lorsque l’homme se blesse, mais il s’agit seulement d’une réaction aux motifs sonores irréguliers engendrés par sa nervosité, son stress, ses crampes, sa peur, voire sa panique. Les oreilles des requins sont très sensibles à de tels sons. Ils peuvent entendre des fréquences de 10 à environ 1200 ou 1500 Hz. Ils sont surtout attirés par les fréquences arythmique, entre 400 et 600 Hz, représentant les signaux sonores d’une proie blessée ou agonisante. Il semblerait qu’une personne stressée, blessée ou prise de panique génère des sons arythmiques comparables à ceux d’une proie potentielle.
L’urine
Il n’existe aucune preuve qui montre que l’urine humaine attire les requins. De plus, les archives du «fichier d’attaque mondial de requin», le GSAF, ne compte pas de cas où les victimes ont mentionné avoir uriné avant que l’incident ne se produise. L’urine humaine se compose principalement d’électrolytes – azote, chlorure, potassium et autres – et de métabolites – minéraux…etc. Rien de tout cela n’attire particulièrement les requins puisque d’autres animaux rejettent également ces composants à la mer.
La combinaison de plongée
Contrairement à ce qu’on a pu croire, la combinaison de plongée et particulièrement sa couleur, n’attirent pas spécifiquement les requins. Cependant le contraste qu’elles créent peut éveiller leur curiosité, par exemple la couleur blanche, brillante, des signes et des logos figurant sur le vêtement.
En effet, une plaie ouverte chez les poissons osseux paraît être de couleur blanche, sous l’eau, de la couleur du muscle. Dans le bleu ou sur le récif, la couleur générale du poisson se fondra dans le décor, mais pas sa plaie. Le requin va donc la remarquer et s’en approcher. Puisque les blessures arborent des formes et des tailles différentes, tout comme les logos et autres caractères, la réaction du requin face à ces signaux sera similaire à celle de la recherche d’une proie blessée. L’animal finira par se rendre compte de son erreur, mais pourra dans certain cas, comme dans le shark feeding, poursuivre son investigation autour du plongeur.
Quelques recommandations
Comme nous venons de le voir, la plongée avec les requins comporte tellement de facteurs à prendre en compte qu’il est parfois difficile d’avoir une image réelle et concrète de la situation dans laquelle on se trouve. Observer les requins s’apparente plus à regarder un film qu’à visionner une image car le sujet et nous-mêmes sommes en perpétuel mouvement. Afin de ne pas se mettre en danger ou en difficulté face à ces prédateurs, sans passer sa plongée à reprendre point par point les différents contextes dans lesquels nous nous trouvons, voici une petite liste de recommandations qui vous permettra de profiter de votre interaction avec eux en toute sécurité :
– Soyez préparé psychologiquement. La rencontre ou l’attente d’un grand squale peut dans certaines situations devenir angoissante. Donc : faites-vous accompagner par une personne possédant l’expérience nécessaire pour évaluer chaque situation et réagir avec pertinence.
– Adoptez une position verticale. Comme vu précédemment, grâce à notre communication corporelle nous paraîtrons plus imposant, plus gros face au requin.
– Faites le moins de mouvements possibles, pas de gestes brusques. Une fois encore, les requins sont sensibles aux sons de basses fréquences générés par votre activité corporelle, cardiaque et cérébrale. Moins vous vous agiterez, moins vous attirerez leur attention.
– Ne vous retrouvez pas isolé. Même histoire que le loup et la brebis égarée, surtout en présence de requins à caractère inquisiteur.
– Évitez autant que possible de faire trop de bulles. Respectez la consigne « le moins de mouvements possibles » concernant l’activité cardiorespiratoire. Évitez l’essoufflement.
– Pas de flash photographiques. Chez certains requins, cela aura pour effet d’attiser leur curiosité à cause de la recharge des accus qui imite le champ magnétique d’une proie. Les requins craintifs ou timides, quant à eux, prendront alors souvent la fuite.
– Veillez à conserver le contact visuel. Comme vu plus haut, sensibles au regard, les requins peuvent se rapprocher s’il ne se sentent plus observés.
– Ne faites pas de bruit. Cela peut inciter le requin à se rapprocher ou bien l’effrayer.
– Si vous êtes mal à l’aise, quittez la zone calmement. Tout comme un chien sent la peur chez une personne, le requin se sentira également gêné par votre présence et réagira.
Bien que les requins soient communément décrits globalement, comme un seul et même animal – « les requins sont les prédateurs les plus abondants des océans », « les requins ont une longue évolution », « les requins se nourrissent principalement de poissons » – ils ont besoin d’être considérés comme des individus à part entière appartenant chacun à l’une des 500 espèces qui peuplent toutes les parties de nos océans. Même si une description se réfère à une espèce, elle ne devrait jamais être généralisée mais toujours prendre en compte l’âge du requin, sa taille, son sexe, sa niche écologique, ses habitudes de prédation, plus une infinité d’autres facteurs impossibles à tous citer ici.
Le requin typique n’existe pas, pas plus que la situation typique…
Vous l’aurez donc compris, pas un requin ne se comporte comme un autre dans la même situation, même s’il appartient à la même espèce. De plus, la situation typique n’existe pas, puisque chaque requin réagit individuellement à son environnement et à la présence des humains. Bien que l’on puisse supposer qu’une espèce va agir comme ses congénères du même sexe et du même âge dans la même situation, rien n’est jamais pareil ni certain. Malgré leur instinct, qui conduit les requins à des actes plus ou moins similaires, des différences notoires sont toujours à relever.
Steven Surina
Steven Surina est moniteur de plongée en mer Rouge. À ce titre, depuis une décennie, il accompagne les croisières le long des côtes égyptiennes, soudanaises et érythréennes. Il a travaillé en partenariat avec la maison d’édition italienne “Magenes Editoriale” sur le projet d’un recueil de sites de plongées sur toute la mer Rouge égyptienne en tant qu’auteur et illustrateur. Il rédige un mémoire sur le comportement des requins océaniques en 2008 et fait distribuer dans les écoles égyptiennes des fascicules interactifs sur la protection et la préservation des requins.
C’est ainsi qu’il crée, en 2010, Shark Education qui propose des séjours plongée requin dont l’objectif est d’aider à mieux les connaître et les comprendre.
Consultez le profil de Steven SURINA