Il n’y a pas si longtemps, je me souviens avoir entamé une conversation passionnée dans les allées du salon de la plongée à Paris. Je débattais alors avec force conviction sur les énormes avantages d’observer les requins sans les attirer artificiellement avec de la nourriture et sans modifier leur comportement naturel ou provoquer des frénésies alimentaires aussi spectaculaires qu’absentes dans le milieu marin originel (enfin, le croyais-je en tout cas)
Ce faisant, j’accusais mon interlocuteur d’interférences illicites avec la nature, et sur ce verdict définitif feignait de ne pas m’intéresser à ses arguments qui ne pouvaient être que dictés par des nécessités bassement commerciales !
Mon interlocuteur d’alors, Jef, était le propriétaire de Small Hope Bay Lodge, un hotel de huttes aux toits de palmes doté d’un centre de plongée perdu sur une plage de sable blanc au nord de l’Ile d’Andros. Andros est la plus grande mais aussi la plus sauvage des Iles des Bahamas.
Jeff commença alors à me raconter son combat passionné pour la préservation du récif des Bahamas et de ses occupants, son implication en politique avec le ministère du tourisme et de l’environnement. Je n’en pensais pas moins que ses principales motivations relevaient plus du cours du dollar et de l’afflux de touristes que de la préservation des espèces marines…
C’est une petite phrase cependant qui fit germer le doute dans mon esprit :
If you don’t feed them, you don’t see them, If you don’t see them, you don’t show them, If you don’t show them, you don’t help them…
(Si tu ne les nourris pas, tu ne les vois pas, si tu ne les vois pas, tu ne les montres pas, si tu ne les montres pas, tu ne les aides pas…
Quelques mois plus tard, en voyage plongée à Small Hope Bay Lodge, Jeff eu tout le loisir de m’expliquer ce qu’il entendait par là…
Comme beaucoup d’autres personnes à travers le monde, Jeff milite pour la sauvegarde des requins et à travers eux, la sauvegarde de toute la chaine alimentaire jusqu’à ses plus petits maillons.
Son combat à lui est de faire connaître l’une des espèces présente sur les sites de plongée du nord de l’ile d’Andros, le requin gris ou Reef Shark. Il estime que la prise de conscience passe par la connaissance et que les touristes et néanmoins plongeurs ayant côtoyés ces grands animaux seront plus sensibilisés à leur cause.
Voulant garder ses distances vis à vis du feeding (action qui consiste à nourrir les animaux avec la main), Jeff a imaginé un stratagème qui permet aux plongeurs de ne pas interférer physiquement avec les requins :
Il congèle une balle de têtes de poissons de plusieurs dizaines de kilos. La balle attachée à un filin est ensuite suspendue en pleine eau à cinq ou 6 mètres du fond sur lequel les plongeurs se positionnent en cercle. Les « gris » ne tardent pas à arriver, d’abord timides. Puis encouragés par les effluves et le fumet du poisson qui se répandent au fur et à mesure que la glace fond, les requins s’enhardissent et s’attaquent à la boule dans un festival de mâchoires grandes écartées et de dents acérées. Le spectacle grandiose ne dure que quelques minutes mais culmine au moment ou l’un des requins réussit à s’emparer du dernier morceau de poisson, immédiatement poursuivi par une horde d’affamés. La scène se passe à quelques mètres seulement des plongeurs et des cameras, pourtant à aucun moment n’éprouve-t-on la moindre impression de danger ou la moindre appréhension.
Aussi vite qu’ils se sont excités, les requins se calment et nagent tranquillement sur le fond entre les plongeurs. On les observe alors tout à loisir et c’est le moment ou on prend réellement conscience de leur taille, de leur puissance… et de leur manque total d’intérêt pour les plongeurs. Nous ne les intéressons pas et ils nous en donnent encore la preuve en disparaissant après quelques minutes de recherches infructueuses d’un peu de nourriture.
Cette technique de « nourrissage » sans interférence directe (baiting) est répétée sur d’autres sites des Bahamas.
Jim Abernethy propose des croisières sur le récif de Gran Bahama au départ de West Palm Beach en Floride. Il utilise une technique différente mais tout aussi efficace. Il attire des requins citrons (Lemon) et des gris mais surtout des Requins tigres (Tigers) et des Bouledogues (Bull Shark) au moyen de caisses fermées contenant du poisson frais (frais en début de croisière en tous cas).
Ces caisses suspendues sous le bateau ou ancrées sur des fonds de quelques mètres dispensent un fumet répandu par le courant des Bahamas que les requins ne tardent pas à remonter. Il se passe toujours moins de quelques minutes avant qu’une dizaine de citrons et un ou deux tigres nagent sous le bateau. Le spectacle peut commencer et les plongées libres aussi !!!
Dans les deux cas, Jeff et Jim tentent d’interférer au minimum avec les grands animaux. Dans les deux cas, on a affaire à deux militants extrêmement engagés dont la réputation n’est plus à faire. Nul ne pourrait accuser Jim de vouloir en faire commerce quand on sait qu’il dort quelques 48 semaines par an dans le triangle avant de son bateau qu’il doit partager avec le captain et 6 autres personnes tant le bateau est exigu. Le luxe n’est pas de mise à bord. Il n’empêche que malgré les conditions spartiates les plongées sont extraordinaires et qu’on peut rester au fond avec les Tigres plusieurs heures par jour et les observer tout à loisir.
Tous les plongeurs qui ont participé à ces plongées vous le diront. On prend la mesure de ces fauves de plusieurs mètres. On réalise que nous ne figurons pas au menu de leur régime alimentaire et qu’ils ne sont dotés d’aucune agressivité envers l’homme. (S’ils étaient agressifs, armés comme ils le sont, l’homme n’aurait jamais pu rentrer dans l’eau et apprendre à nager… )
On revient également avec l’intime conviction qu’il faut sauver les requins et lutter contre le massacre organisé d’espèces nécessaires à la survie même de nos océans.
Alors si la prise de conscience passe par la connaissance, si le baiting ou le feeding servent la cause de ces animaux majestueux, et s’ils parviennent à diminuer voire éradiquer le fining, alors je suis pour le baiting et le feeding.
STOP EATING SHARK FIN SOUP
5 commentaires
E-DI-FIANT...!
Absolument édifiant ! Il n’y a qu’en en parlant et en diffusant au plus vite, ce type d’info que l’on peut renseigner tout à chacun, aux 4 coins de la planète, que l’on pourra peut-être entraver ou enrayer ce type de Crime…
Merci en tout cas à toi OZI-IZO, de nous en informer…
A Bon Détendeur Salut.
S’cuB’a
Merci Patrick pour cet intéressant billet qu n’en doutons pas… va susciter les réactions…
Bonnes plonges à toi
Bel article Patrick et fort intéressant.
Il n’est pas impossible, en effet, que la rencontre, la “confrontation”, la mise en contact, l’observation et la découverte visuelle et “tactile”, j’allais dire sensuelle, est très certainement un moyen ou une solution vérace et efficace, afin de mieux faire connaitre et mettre en évidence aux yeux du public plongeur et du public lambda ou terrien en général (tout simplement par phénomène de bouche à oreille et effet boule de neige), de l’importance de défendre et de préserver cet animal magnifique, fascinant, encore mal connue mais tellement indispensable pour la pérennité de notre planète.
Sans revenir sur le coté “feeding” bête et méchant, qui avait été longuement abordé, développé et mis en exergue, dans un très bon article de Denis Jeant, on parlera donc d’un nourrissage intelligent et éducatif, comme tu peux le relater d’une certaine manière dans ton article et qui constitue peut-être une solution intéressante… Mais nous ne sommes que des hommes et il y a encore un long chemin à faire !
Merci pour ton article Patrick. Sans être vraiment convaincue, il n’en demeure pas moins que vu sous cet angle, ton avis peut se comprendre.
Amicalement
bravo! tout est dit!
j’en reviens de ma deuxième croisière dand les Bahamas, et la première etait avec Jim Abernethy, et je peux confirmer que plus motivés défenseurs de requins, que Jim, Bob, Heidi et leur entourage, je n’ai jamais rencontré.
kjeld