Article sur François Sarano paru dans LE MONDE SCIENCES – 21/02/2013
Stylo et tablette à dessin en main, l’homme croque l’animal qui vient vers lui ; il le laisse approcher puis se place à ses côtés pour cheminer à son rythme. Même sur un simple écran d’ordinateur, la scène est saisissante. L’animal, c’est un requin blanc, un mastodonte de cinq mètres de long. L’homme sans peur, c’est François Sarano, docteur en océanographie, plongeur professionnel et ardent défenseur de l’océan. “Dans ces moments-là, je ressens une joie primitive, quelque chose qui vient du ventre. La relation avec le monde sauvage, elle est directe, authentique, sans calcul”, raconte-t-il en regardant la vidéo.
En cette belle journée de février, cet homme des grands espaces s’est enfermé pour une séance de travail chez le réalisateur Stéphane Granzotto, avec qui il prépare depuis deux ans un documentaire, Méditerranée, royaume perdu des requins, qui devrait être diffusé à l’automne sur France 2. Aller à la rencontre des requins de Méditerranée et les immortaliser s’est révélé un défi, tant ces prédateurs se sont raréfiés au cours des dernières décennies, rançon de la surpêche et de la densification humaine sur les côtes… C’est d’ailleurs dans l’océan Pacifique qu’ont été filmées les séquences avec le requin blanc, près de l’île mexicaine de Guadalupe. Un choix stratégique.
“Il y a un siècle, sur cette île, tout avait été décimé par les pêcheurs et les chasseurs. Depuis, elle a été protégée par un statut de réserve marine et, aujourd’hui, on y recense 120 requins blancs, une densité unique au monde. Le but de notre film, c’est de montrer que, lorsqu’on laisse à la nature un espace de liberté, elle retrouve sa richesse et des grands prédateurs”, justifie-t-il.
CONTEUR NÉ
Pour cet infatigable explorateur, qui plonge depuis plus de quarante ans (il a 59 ans) dans toutes les mers du globe, c’est une évidence : “On a besoin de garder à côté de nous un monde qui nous échappe, besoin de l’imprévisibilité du monde sauvage.” Et il sait se faire plus lyrique encore s’agissant des requins blancs, que beaucoup voient juste comme des “mangeurs d’hommes” malgré la rareté des accidents. “Le requin blanc, c’est l’ultime prédateur, le plus mal-aimé, mais c’est une espèce rempart. Si nous parvenons à faire de la place à ce plus mal-aimé, nous en ferons à tous”, espère ce militant, cofondateur de l’association Longitude 181 nature, qui a pour objectifs la protection du milieu marin et le partage équitable de ses ressources (www.longitude181.com).
Histoires de requins, mais aussi de raies manta, de baleines bleues ou à bosse… Sarano est un conteur né, intarissable et captivant. “Il a toujours un regard neuf, que ce soit sur les animaux ou sur les gens. Sa curiosité est pure et saine”, assure Stéphane Granzotto.
Insatiable, l’océanographe lit des dizaines de publications chaque mois mais ne se voit pas vraiment comme un scientifique. Juste un curieux, dit-il. Son obsession du terrain remonte à loin. Au début des années 1980, pour sa thèse de doctorat en océanographie consacrée à la reproduction du merlu, Sarano frappe à la porte de pêcheurs de l’île d’Yeu. “Ils ont eu la délicatesse de m’embarquer, pendant treize marées de treize jours, remercie-t-il. Sans eux, j’aurais fait une thèse de bureau, comme tant d’autres.”
Quarante ans après, il n’a rien oublié. Ni les odeurs prégnantes sur le petit bateau en bois, ni la convivialité des gens de la mer, ni le nom du patron pêcheur, Fernand Voisin, avec qui il est toujours en contact. Ni la tête de ses professeurs quand il leur a annoncé qu’il irait présenter ses résultats à ceux qui l’avaient aidé, à l’île d’Yeu. “On m’a dit que cela ne se faisait pas, sourit-il. Souvent, le scientifique ne se soucie pas de partager ses résultats, mais il devrait, je crois. Cousteau avait ce souci de restitution, de partage”.
CARNETS DE PLONGÉE
En 1985, alors qu’ils viennent de se rencontrer, le célèbre commandant convainc le jeune océanographe de partir pendant deux mois sur la Calypso, direction Haïti. Il n’en reviendra pas indemne. “On est allé plonger dans des endroits où personne ne retournera jamais, estime Sarano, qui a travaillé comme plongeur, conseiller scientifique et chef de mission pendant treize ans avec l’équipe Cousteau. La surface des océans, c’est 360 millions de kilomètres carrés. Lors d’une plongée, on couvre au maximum un hectare. Si l’on devait marquer sur une mappemonde les endroits que l’on a explorés, cela ne se verrait même pas.” Plus récemment, il a mis son savoir-faire au service de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud pour leur film Océans, sorti en 2010. “On a travaillé ensemble pendant huit ans, cela m’a permis de redécouvrir l’océan car, à force de disséquer, je n’avais plus une vue d’ensemble”, raconte le plongeur, toujours humble. “Sans lui, notre film n’aurait pas été ce qu’il est, dit de son côté Jacques Perrin, dithyrambique. Bien souvent, nous avons organisé des débats d’une heure avec le public après la projection du film. Au bout de vingt minutes, toutes les questions s’adressaient à Sarano et c’est avec bonheur que nous le laissions parler”, s’amuse-t-il.
De toutes ses expériences, Sarano a tiré plusieurs ouvrages, dont le très beau Rencontres sauvages (éditions Gap, 2011), où il revisite ses carnets de plongée, moult croquis et photos – les siennes et celles de son épouse, également océanographe – à l’appui. Ces rencontres sauvages font l’objet d’une exposition, à l’Aquarium de la porte Dorée, à Paris, et bientôt à Montpellier. Sarano est aussi un conférencier recherché. Mais, qu’il s’agisse d’un public d’enfants ou de chefs d’entreprise, son matériel pédagogique est toujours le même : un disque dur avec une galerie de photos et de films de ses créatures marines, qu’il projette en fonction des questions. “Je ne connais rien aux techniques de management, dit-il, mais j’ai découvert que pour réaliser un film sur les requins blancs, on suit les mêmes procédures que celles que les managers souhaiteraient appliquer en entreprise. C’est un énorme travail d’équipe, où chacun doit se sentir impliqué. Et heureux.”
2 commentaires
Toujours agréables ces explo avec les petits plus : l’ambiance, la tranquilité de l’endroit et les dégradés de bleu des puits de lumière. J’avais aussi fait le séjour chez Didier et Martine (ils st supers) et j’ai bien envie d’y retourner pour les requins baleines …!
Plongeurs et non-plongeurs…on est tous concernés.
Un article à diffuser.