Définition
Limite immatérielle entre deux niveaux d’eau de températures différentes, l’un d’indice “elle est bonne”, l’autre d’indice “on se caille les meules”…
Synonymes
Pycnocline | Halocline
Entrée
En général, quand on est plongeur, on va dans l’eau. Dans l’eau douce, quand on est Suisse ou Savoyard ou dans l’eau salée, en Manche, en Atlantique, en Méditerranée, en Mer Rouge voire dans d’autres saumures encore plus exotiques… Parfois dans les deux : typiquement les eaux de piscine en hiver et celles de la mer en été. Mais pas que : ce serait trop facile ! Pas dans l’eau douce puis dans l’eau salée mais dans les deux en même temps ! Dans certaines grottes et résurgences marines, dans les cenotes du Yucatàn, il arrive qu’on commence la plongée dans l’eau douce pour la poursuivre dans l’eau salée en franchissant une immatérielle frontière baptisée halocline. La plupart du temps c’est l’eau douce, moins dense, qui se trouve au dessus de l’eau salée.
Une discrimination basée sur la salinité qu’on retrouve dans un autre phénomène similaire : la thermocline due cette fois à une différence de température, bien connue des plongeurs en lac et qui peut atteindre plusieurs dizaines de degrés. Cette fois, c’est l’eau chaude qui surplombe l’eau froide. Et rien n’empêche d’observer un mélange des deux phénomènes ou de bien plus encore comme je l’ai raconté dans un précédent article.
Plat
La halocline est souvent due aux différences de température de l’eau entre l’été et l’hiver. Les eaux froides, plus denses et peu brassées restant en profondeur. Et donc le plongeur normalement constitué (et vacciné) s’attend toujours à avoir plus froid en descendant. Or c’est exactement le contraire que nous avons rencontré dans un lac de l’île de Palawan aux Philippines : de l’eau de plus en plus chaude, sans doute d’origine volcanique, au fur et à mesure de la descente, comme je l’écrivais dans le livre Narcoses aux éditions Glénat . Sans parler de la grotte de la Mescla dans le Var où, en explorant les eaux karstiques fraiches du siphon 3, j’ai recoupé sous l’eau, loin en amont, une conduite d’eau thermale bouillante…
Mais il existe d’autres situations où c’est de l’eau chaude qui sourd au fond de la mer, comme nous l’avons découvert au début des années 90 lors d’une campagne d’exploration dans le Péloponnèse pour le compte de l’IGME (le BRGM local). Pour l’irrigation, nous cherchions désespérément de l’eau douce dans le golfe de Corinthe. La tradition orale parlait d’un geyser d’eau jaillissant de la mer au pied du Mont Parnasse. Les pêcheurs qui nous indiquèrent le lieu se désolaient de n’y prendre aucun poisson ce qui aurait dû me mettre la puce à l’oreille : les sources sous-marines qui rendent l’eau saumâtre alentour sont toujours fréquentées par des nuées de muges et autres mulets venus peut-être s’y soigner.
Inventer l’eau chaude
Nous voici au milieu de la tâche d’huile que forme la résurgence à la surface de la mer. Bascule arrière et descente rapide dans le vortex où les eaux se mélangent. A moins 45 m un entonnoir d’éboulis calcaires nappés d’une épaisse couche de boue grisâtre pulvérulente apparaît. Les sorties sont au nombre de quatre réparties sur 30 m2 environ. Elles sont bien visibles grâce à un feston de filaments blancs, colonies de bactéries qui croissent à leur pourtour. La roche à l’intérieur est noire et présente des dépôts jaunes et oranges. Dans l’obscurité salée, c’est une ambiance d’abysses, de fumeurs noirs, de matins du monde…
Le courant qui sort d’une diaclase étroite est très chaud, violent, et provoque des aberrations optiques. La présence d’H2S se fait bien sentir et attaque la peau, même à travers le masque. Un sondage permettra de relever une profondeur de 52m pour une température de 30°C. Mais d’eau douce, point. Les analyses chimiques ultérieures montreront au contraire qu’il s’agissait d’une eau plus salée que la mer environnante, très riche en sulfates et dont la faible teneur en tritium attestait de l’ancienneté.
Je suis resté longtemps devant les volutes de cette eau vénérable troublée de chaleur et de salinité, qui rendait en quelque sorte à la mer, après un long cheminement secret, l’eau perdue dans les gouffres alentour où la mer se vide, les fameux katavothres. Mais ceci est une autre histoire…
Dessert
La notion même de thermocline est apparue brièvement et tardivement pour la première fois en 1942 dans l’ouvrage qui fut la référence de l’océanographie : The Oceans, par Sverdrup, Johnson, and Fleming. On sait depuis que dans les océans, 90 % de l’eau qui se situe au-dessous de la thermocline a une température comprise entre 0 et 3° C. Par ailleurs, les pêcheurs savent bien que la zone située au-dessus de la thermocline s’appelle l’épilimnion, et que celle située dessous est dite hypolimnion. Cette dernière est parfois appauvrie en oxygène, voire anoxique, ce qui la transforme en zone morte. Voilà : vous pouvez repartir avec çà sous le bras…
La thermocline, tout comme la halocline, est aussi prise en compte par les sous-marins militaires car elle change considérablement les caractéristiques du milieu d’un point de vue sonique. Les sous-marins peuvent alors s’en servir en manœuvrant de l’autre côté de celle-ci, afin de se dissimuler aux sonars adverses. Les canaillous…
A très bientôt pour une nouvelle définition du Scuba Bécédaire. Le lexique irrévérencieux de la plongée, mais pas seulement. Parce que des fois…
Francis Le Guen
Café
Les différentes densités de l’eau présente dans les océans expliquées par l’océanographie.