Le 17 septembre 1965, les plongeurs de l’équipe Cousteau débutaient une expérience unique au monde : vivre un mois à 100 mètres de profondeur, au large de St Jean Cap Ferrat, avec pour seul refuge la sphère d’acier de Précontinent 3. Yves Omer était du voyage. Il raconte à Francis Leguen pour scuba-people, le magazine de plongée sous-marine.
Mes années Cousteau
Une maison sous la mer… En apnée, je viens de franchir le sas, à cent mètres de profondeur. Plongé dans l’eau sombre et glaciale, avec pour mission de brancher les ombilicaux sur les surpresseurs.
Mais à peine sorti, je me sens happé vers la surface par une poigne terrible : je suis beaucoup trop léger ! Et en danger de mort si je n’arrive pas à enrayer mon ascension incontrôlée : si je crève la surface comme un boulet, sans décompression, je suis foutu !
Miraculeusement, je m’accroche aux superstructures de notre habitat et parviens à me déhaler à la force des bras jusqu’à refranchir le sas et regagner la sécurité relative de la sphère d’acier qui nous sert de refuge dans les profondeurs de Saint Jean Cap Ferrat.
Et je comprends ce qui s’est passé. Nous respirons un mélange d’hélium et d’oxygène. Et nous sommes saturés d’hélium, nos poumons, nos vêtements néoprène : de vrais ballons prêts à s’envoler vers la surface. Il va nous falloir deux fois plus de plombs.
Et apprendre à résister au froid : à cause de la pression qui règne ici, nos combinaisons sont devenues épaisses comme du papier de cigarette ! Et se dilatent à la remontée… Un jour, nous avons perdu un gant et les gars de la surface nous ont dit qu’il avaient récupéré un pantalon à 5 jambes !
A l’époque, on découvrait. On ne savait rien et on expérimentait sans cesse… C’est à l’automne 65 qu’a débuté l’expérience Précontinent 3. Cinq hommes (André Laban, Philippe Cousteau, Christian Bonnici, Raymond Coll, Jacques Rollet) et moi-même devions partager pendant un mois une maison d’acier sphérique immergée à 100 m de profondeur. Nous respirions à saturation un mélange d’héliox à 98 % et descendions travailler quotidiennement à – 120 m sur une tête de puits factice.
Oui, nous étions de vrais pionniers. Dans un environnement hyperbare encore inconnu. Philippe Cousteau parlait de maîtrise de la peur. Mais moi, j’étais le plus jeune et je n’avais pas peur, j’avais confiance. En Bébert, en Cousteau. Confiance dans toute cette chaîne de marins, de plongeurs, de secrétaires, de techniciens qui nous avaient amenés là.
Et puis nous avions été sur-entraînés. A descendre en apnée à 40m et plus, en respirant de temps à autres sur des bouteilles relais… Ou à franchir de longues distances en respirant sous des bassines retournées !
Et quand je repense aux faibles moyens que nous avions à l’époque (on bricolait tout) c’est miracle que nous n’ayons pas eut de pépins !
La différence était flagrante avec le monde anglo saxon comme j’ai pu le constater alors que nous étions invités au lancement de l’expérience de la Marine américaine Sealab 3 sur l’île de San Clemente en Californie. J’étais venu avec ma caméra Arriflex pour filmer les océanautes. Avec mon bonnet rouge, au milieu des dizaines de photographes sur pieds, de journalistes en pool. Officiers à casquette, bateau trois fois plus gros que la Calypso, foule énorme… Alors qu’à 185 m, l’habitat fuyait et perdait de l’hélium !
Et des officiels un peu angoissés qui n’arrêtaient pas de me demander, sachant que nous n’avions eu aucun problème d’étanchéité sur Précontinent 3 :
– Comment vous avez fait les passages de coque étanches ?
– A la pâte de manganèse, je répondais invariablement, même s’ils n’avaient jamais l’air convaincus.
4 plongeurs sont descendus pour essayer de réparer la fuite mais rien n’y fait : les médias trépignent. A la deuxième tentative, c’est le drame : l’un des plongeurs ne remonte pas ! On saura plus tard qu’il avait oublié la cartouche épuratrice de son recycleur…
Un gars de la Marine…
Je viens d’avoir 74 ans. Originaire de Brive la Gaillarde, je me suis retrouvé à Toulon dans les années soixante avec une forte envie de voyager. A cette époque, en pleine guerre d’Algérie, il n’y avait pas beaucoup d’alternatives. C’est ainsi que je me suis retrouvé engagé pour 3 ans dans la Marine Nationale. Je n’avais pas 20 ans. J’ai fait un peu de tout : chauffeur du Commandant, épicerie du bord et même des recherches sur les sonars de sous marins. C’était le début de l’électronique, avec du matériel énorme, des câbles et des grosses lampes… Bref, je m’ennuyais.
Un jour, je déclarais à mes supérieurs :
– Je veux être sous-marinier.
– Tu n’as qu’à passer les examens physiques et psychiques !
Côté physique pas de problèmes mais je me retrouvais bientôt devant un psychologue avec une batterie de tests à résoudre… Et au bout d’un moment, le type me dit :
De toute façon, les sous mariniers sont tous des cons ! Tu n’as pas d’avenir là-dedans. Vas étudier !
Je repartis donc, mon périscope entre les jambes… Mais au bout de 28 mois de service, j’en étais toujours au même point. Certes, j’avais appris un tas de choses, devenu Docteur en ci et çà… Et puis, je me souviens, c’était en pleine mer, en hiver, quelqu’un a dit :
– Fais au moins plongeur !
Tilt : je voulais devenir plongeur ! Mais il me restait 7 mois à tirer avant d’avoir vingt ans… On m’envoya alors à Sainte Anne, à Toulon. Pour passer des tests psychotechniques. Et je retombais sur le même psy qui m’interrogea sur mes motivations ! Avec peu ou prou la même réponse : Casses toi !…
Mais cette fois, je ne voulais pas repartir une palme devant, une palme derrière et j’apostrophais l’officier recruteur :
– Vous me dites que la plongée n’a pas d’avenir mais si je vous disais que je veux faire çà pour l’argent ?
– Alors là, je signe tout de suite !
Comprenne qui peut mais cela a été le début d’une magnifique aventure. La découverte de la plongée. De la troisième dimension de l’espace. La Marine Nationale formait magnifiquement les gens. A Saint Mandrier, ils étaient tous « pistonnés », sauf moi. Mais l’entrainement physique était très poussé. Nous recevions aussi une solide formation intellectuelle. Le temps passait entre études, calculs, entrainements, le maniement des outils, souder, couper… Comme on le fait aujourd’hui à l’INPP mais pour 15 briques… Aujourd’hui, les jeunes payent pour tout. Moi on m’a tout payé ! Je suis sorti second de ma promo.
Et j’étais de retour sur le bateau avec un nouveau diplôme. Plongeur. Et aussi épicier du bord. Pas beaucoup d’occasions de plonger à bord alors, à terre, il nous arrivait de temps en temps d’aller plonger en Vespa. Avec toujours cette question qui me taraudait : qu’est-ce que j’allais bien pouvoir faire de ma vie ?
A l’époque, Cousteau commençait à faire parler de lui avec l’expérience Précontinent 2 qui se déroulait en Mer Rouge. Mon père qui l’écoutait à la radio me dit :
– Tu es marin ? Tu es plongeur ? Contacte le !
Calypso
J’écrivis donc à Cousteau, sans trop d’espoirs, pour lui proposer mes services. Le 12 janvier 1964 je suis démobilisé. Et peu après, je reçu une convocation de Falco me donnant rendez-vous à Marseille, quai de la grande bigue ! C’est là que j’ai découvert la Calypso. Les ateliers étaient dans un désordre indescriptible mais il y régnait une vie et une créativité incroyable. En contraste total avec la Marine. Et je m’écriais, sincère :
– Ah quelle chance vous avez !
Au bureau, Falco me présenta alors à Cousteau avec ces mots :
– Commandant : voilà un futur plongeur !
Cela valait diplôme. Et pourtant, je ne doutais pas qu’il devait y avoir une masse de candidats… Et l’entrainement avec Falco commença. Complètement différent de celui de la Marine. Du genre : on descendait à 40m avec un nombre de 4 chiffres à retenir. Au fond, on me demandait d’y ajouter ma date de naissance et de multiplier par un autre nombre. Et, narcose ou pas, il fallait mieux que le résultat soit juste ! Nous faisions aussi de longs trajets sous l’eau, à trois plongeurs, et alors Falco nous demandait de revenir à l’ancre. Ma formation de marin m’a alors bien servie. Marin-plongeur. Et à ce moment là, n’existaient pas encore de joints toriques, de polypropylène, de scotch toilé : on faisait tout au chanvre et à la filasse de coco !
Ce furent dix ans de bonheur. Les croisières, dès 1964, Précontinent 3 en 1965. Et quelle école de vie ! Aussi bien chez Cousteau que dans la Marine, je n’ai jamais ressenti une telle liberté de penser, d’agir, indépendamment des religions et inclinations politiques.
A l’époque on pensait collectif. Mais les personnalités n’avaient pas peur de s’affirmer. Cousteau, c’était un Homme, un chef, un vrai. Il s’appuyait sur la personnalité des gens. Dans le civil, il restait le marin qui avait appris à commander à l’école navale en tant qu’officier. Il faisait respecter une hiérarchie de fonctionnement et non pas une hiérarchie de position, prenant les hommes comme ils étaient. Nous n’avons jamais eu de problèmes d’autorité avec lui.
Vous direz à Omer qu’il est cameraman sous-marin !
Un jour, Philippe Cousteau me dit :
– Je vais à Monaco voir mon père. Viens avec moi ? On conduira la Morgan !
Philippe aimait les décapotables de collection mais, pour tout dire, je ne me sentais pas très à l’aise. Moi, je me considérais comme un « employé de base » dans cette structure. J’avais un problème avec « les riches ». Et je me comportais un peu comme les paysans de ma jeunesse. Arrivé à Monaco, je me retrouvais dans un immeuble « de fonction », ascenseur, moquette de 20 cm d’épaisseur… Pour découvrir alors Cousteau et « la bergère », hilares, en train de sauter sur un lit « moderne » à relevage électrique… Alors, je me suis dit : mais qu’est ce que je fous là ?
– Papa, tu comprends, il faut que Yves devienne caméraman !
– Ok, ok, pourquoi pas ? Il faut voir Alinat.
Mais je sentais bien que le Pacha n’en avait rien à faire à ce moment là et qu’il était surtout pressé de retourner chahuter avec Simone, comme un gosse. J’étais sidéré. Sans comprendre tout de suite l’incroyable chance qu’il m’offrait.
Après un crochet par Paris, direction le musée de Monaco, au volant de la Morgan. C’est là que j’ai rencontré Jean Alinat, un type extraordinaire, l’éminence grise de Cousteau. Poignée de main virile et aussitôt il dépliait ses bras d’aigle et prenait les décisions.
Il fut décidé que je suivrais des cours de cinéma par correspondance et que le reste, ma foi, je l’apprendrais en le faisant. Une promotion spectaculaire qui me valait quelque jalousie de la part de « collègues » cinéastes parisiens…
Mais j’avais appris à enregistrer ce que je voyais sous l’eau, à transmettre une émotion. Je me retrouvais en Afrique du sud sur mon premier tournage mettant en scène les « puces de mers », nos deux submersibles. Et, à vrai dire, je n’étais pas très fier. Un seul mot d’ordre : Omer, filmez !
Cousteau était reparti en avion avec les pellicules pour les faire développer et les visionner à Los Angeles. Depuis le milieu de l’Atlantique, nous communiquions grâce à Saint Lys Radio. Et on écoutait tous autour du poste, comme sur Radio Londres pendant la guerre, attendant le verdict du Pacha.
Alors, j’ai entendu la voix du Commandant, déformée par la transmission :
– Au fait, vous direz à Omer qu’il est cameraman sous-marin !
Ecrasé par une baleine
Les tournages se sont enchaînés autour du monde. Je faisais partie de la « nouvelle vague » avec Philippe Cousteau. Des équipe volantes, légères, avec le maximum d’autonomie et d’efficacité. A Guadalupe, au Mexique, on avait déjà missionné deux équipes. Puis, pour compléter le film, on m’avait envoyé seul avec le matériel et la responsabilité totale, pour plusieurs mois.
Check-list rigoureuse, débarquement, installation du camp puis la Calypso appareille et disparait au loin. C’est alors que je me suis rendu compte que j’avais oublié la caméra sous marine ! Ce n’est que 8 jours plus tard qu’on a pu enfin me faire parvenir une caméra et que j’ai pu commencer à plonger…
Mission terminée, un soir, à la barre de Calypso, Philippe me tape dans le dos :
– Tu sais, Yves, heureusement qu’on t’a envoyé là bas : tes images sont les seules qui restent. Celles des autres ont été endommagées au labo…
En 1968, tandis que la révolution gronde à Paris, je suis sous la tente, dans le canal du Panama, au milieu des éléphants de mer. Avec un compresseur et des cartons de vin rouge. De quoi séjourner un mois, avec des plongées du bord quotidiennes. Le temps de faire connaissance avec les pêcheurs locaux : langoustes contre vin rouge… J’ai toujours cherché la relation avec les animaux mais concernant les éléphants de mer, je n’avais aucune information : j’ai tout découvert par moi même, l’approche, le comportement. Et, au fil du temps, j’ai vu des choses qui m’ont conforté dans l’idée qu’ils sont très proches de nous. Beaucoup plus qu’on ne le pense. Mais les scientifiques me taxent d’anthropomorphisme !
Moi, j’ai beaucoup appris au contact de ces « bêtes sauvages ». Une fois, je suivais à la palme une troupe de jeunes mâles en bordée. L’un d’eux, ventre rebondi vers la surface ludionnait tranquillement. Il s’est retourné et nous avons échangé un long regard que je jugeais complice. Je le retrouvais un peu plus loin, au delà d’une crique mais cette fois avec l’aileron posé sur l’épaule d’une jeune femelle. Et ensuite, j’assistais à un ballet entre la surface et le fond, des mouvements de toute beauté. Puis, la femelle s’est retirée, abandonnant le mâle à son braquemard immense. Elle est repartie vers la plage tandis que le mâle rejoignait ses copains, penaud. Et ces regards, ceux de ma jeunesse quand il était en principe interdit de fréquenter les filles…
En 69 nous sommes à San Diego, reçus comme des rois. L’objectif est de filmer une baleine grise et l’équipe la cherche depuis des mois… Un jour, on nous signale une baleine qui a été harponnée avec 1000 m de cable d’acier et des bouées pour la freiner. Nous décidons d’y aller. Bébert pilote le Zodiac et je suis assis sur le boudin avec ma caméra. J’attends. Après 4h de poursuite nous sommes presque à couple de la baleine.
– Saute ! crie Bébert
Mais c’est le moment que la baleine choisit pour sauter aussi. Un bond formidable dans l’écume qui s’achève en travers du Zodiac. Choc énorme. On coule ! Le réservoir d’essence est aplati et je me retrouve sous l’eau, le genou coincé entre le Zodiac et la baleine ! Filins partout. Alors, le Zod est propulsé comme un bouchon en surface et je me retrouve libéré…
Hyperoxie en Corse
Oui, plusieurs fois nous ne sommes pas passés loin. Comme sur le tournage avec le corailleur Recco, en Corse. J’en suis le cameraman officiel.
Il est prévu de descendre à 110 m pour suivre les évolutions du corailleur qui lui plonge à l’air comprimé pour récolter l’or rouge.
Quand il est à terre, Recco claudique et sa marche est boiteuse à cause des multiples accidents de décompression qu’il a subit… Il s’est concocté une table à lui. Il faut le voir avec son fusil rouillé, monter à bord de son Zodiac où il retrouve son matelot, Nadine, une gentille brunette attentive à tout ce qui se passe. Les lieux sont convoités, d’où le fusil…
Nous allons plonger à l’héliox, avec des tables de décompression sûres. Notre tourelle viendra nous récupérer à -40m pour que nous décompressions dans un confort relatif sur le pont, surveillés par des équipes autour de nous. D’ailleurs, en cas de doute sur la marche à suivre, un appel au musée de Monaco et les experts nous confirment ou non dans nos procédures.
La veille au soir, j’ai dit au corailleur ce que je désirais faire avec lui et comment j’aimerais qu’il se positionne face à la caméra. Avant de plonger, le temps se lève et les 3 plongeurs, que nous sommes, sont avertis qu’il ne sera pas possible de mettre la tourelle à l’eau. Nous ferons nos paliers dans l’eau. Et devrons passer sur oxygène à une profondeur bien supérieure à la norme pour éliminer au plus vite l’hélium…
Harnachés de nos tribouteilles nous sautons à l’eau avec des filets pleins de cailloux pour accélérer la descente. Nous devons rejoindre le corailleur et arriver ensemble sur le fond. Pas question de traîner pendant la descente. Nous la faisons en 1 minute, nous en avons 10 pour le travail, sinon, le corailleur risque d’être à court d’air et nous aussi. Et cela peut nous faire entrer dans des paliers interminables.
Sur le fond tout se passe bien. Le corailleur se positionne merveilleusement pour que j’enregistre ses faits et gestes et donner ainsi le plus de plans possibles aux monteurs, là-bas, aux USA, pour leur permettre de créer le film. L’eau à la descente est glauque et, au fond, verdâtre avec des lointains bleutés, mais très sombres. L’eau est chargée de particules et je dois faire attention à l’angle caméra/lumières. Mais tout se passe bien, la récolte du corailleur n’est pas mauvaise et je sens que j’ai mis en boîte ce qu’il faut.
La remontée s’opère à la vitesse requise. -40m, pas de tourelle. Le corailleur effectue sa remontée selon ses propres règles. Nous arrivons à nos paliers oxy avant que lui n’arrive à sa balancelle où il passe un temps infini à évacuer toutes les bulles invisibles et indolores qui l’envahissent.
La limite d’utilisation de l’oxygène pur dans l’eau libre est de -7m. Lorsque nous arrivons au palier, nous sommes bien plus bas que cette limite. Nous nous débarrassons de nos tris et prenons l’embout respiratoire d’oxy. Nous endossons aussi une bouteille d’air afin d’alterner oxy pur et air pour éviter la syncope.
L’un de nous trois avait l’habitude, pour s’amuser, de larguer son embout respiratoire en tendant son bras et de nous regarder avec un rictus tout de dents serrées. C’est ce qu’il fait, une nouvelle fois, mais il reste figé anormalement longtemps et commence à couler ! Nous nous précipitons. Il est tétanisé, raide comme un passe-lacet. Nous l’attrapons. Et la surveillance n’est pas là ! Heureusement Nadine a tout vu et a lancé l’alerte. Panique générale. Ramener son copain inconscient en surface… Par bonheur au moment où nous émergeons, le secours est là.
Redescente rapide, vite oxygène… La respiration reprend son calme et mon acolyte me fait des signes m’invitant à respecter la procédure alors que moi, je cherche surtout à me débarrasser du plus d’hélium possible. Zut ! Mon collègue vient de larguer son embout respiratoire et le bout de sécurité. Il commence à couler lui aussi et de l’air sort de sa bouche. Je me précipite, le récupère et le remonte. Mais mes paliers ne sont pas terminés et je ne sais plus très bien où j’en suis. Je les termine dans l’émotion et la crainte de tomber moi aussi en syncope. Je suis seul et la surface me semble loin. Le corailleur plus bas n’a rien vu et je le regarde lire son livre, assis sur sa balancelle, attendant que le temps passe pour remonter un peu plus haut.
J’en ai marre, je remonte. A l’échelle : personne ! Je grimpe seul, avec mon matériel. Effervescence à bord. C’est alors que le caméraman Renoir se précipite pour me filmer. Un peu tendu, je me souviens lui avoir dit :
– Tu te casses avec ta caméra ou tu passe par dessus bord !
Il paraît que j’étais livide. Nadine, sur son zodiac, pleurait… Décontenancé, groggy mais sauf, je me dirigeais alors vers les douches pour terminer mes paliers de décompression.
J’ai passé trente années de ma vie au service de la mer, dont dix avec le commandant Cousteau… Une vie exceptionnelle !
Un Emy Award lui sera décerné à Hollywood pour le film sur les Trous Bleus des Bahamas, avec Deloire et Goupil et une autre distinction pour le documentaire sur les saumons. Yves se déclare très content d’avoir été récompensé même s’il n’est pas dupe des « honneurs ».
« Mais c’est vrai qu’il fallait être capable de tourner sans viseur, de raconter une histoire, de tourner les plans de raccord… A Hollywood, le monteur ne prenait plus que mes images… Ce qui est sûr c’est que tout ce que nous avons montré dans les films nous l’avons vécu. Sans bluff. Dans la Marine Nationale, on avait une éthique…»
Après la période Cousteau, Yves Omer (qui cherche toujours quoi faire de sa vie tout en ayant toujours fait) travaille en Italie pour la marine industrielle. Puis il devient instructeur à l’INPP (Institut National de Plongée Professionnelle) à Marseille. Mais ceci, est une autre histoire…
« Mon intérêt dans la vie c’était de voir la vie. Et je l’ai vue. J’ai vu l’extraordinaire… »
Propos recueillis par Francis Le Guen