En Afrique du Sud, des manchots ont investi une plage du Cap. L’attraction attire chaque année les touristes venus du monde entier. Malheureusement, depuis un siècle, leur espèce n’a cessé de décroître. La faute due au changement climatique et à une vieille tradition culinaire.
-Par Margaux Solinas au Cap, (Afrique du Sud).
À Boulders Beach, une plage située dans la région du Cap en Afrique du Sud, des manchots traînent la patte avec douceur et maladresse. Un sable blanc, une mer froide et agitée, la colonie a tout d’une carte postale. Elle est isolée de la ville la plus proche, Simon’s Town, et offre une vue imprenable sur l’océan Atlantique qui vient se fracasser sur les roches environnantes. Une passerelle en bois survole l’habitat de ces oiseaux marins, ou les touristes de toutes nationalités se délectent de la vue.
Le Spheniscus Demersus, de son appellation latine, fait partie d’une lignée d’oiseaux bien spécifique : les sphéniscidés. Selon l’encyclopédie Universalis, ce sont les seuls oiseaux “vivant dans les eaux froides de l’hémisphère Sud.” De petites tailles, ils sont vêtus d’une robe noire et blanche conformément à leur espèce. Tous les ans, ils perdent leurs capacités à entrer dans l’eau pendant 21 jours, lors de leur mue, durant laquelle apparaissent de nouvelles plumes. Ils se nourrissent principalement de bancs de sardines et d’anchois. Aujourd’hui, ils sont les derniers représentants des manchots australs africains, qui vivent dans une zone chaude de la planète.
Mais ces petits êtres, qui fascinent autant les visiteurs de la région, sont gravement menacés. Leur population a chuté de 90% en un siècle à peine, selon les chiffres officiels du ministère sud-africain. Contrairement aux dix-sept autres types vivant sur le reste de la Terre, l’oiseau marin du Cap n’a pas su s’adapter au réchauffement climatique et autres pièges écologiques. « Dans sa forme la plus simple, le piège écologique est un habitat de basse qualité où les espèces ne survivent pas. Pourtant certains organismes vivants préfèrent, pour des raisons qui leur sont propres, cet environnement à d’autres lieux avec de meilleurs attributs », explique le zoologiste Richard Sherley, du département de l’environnement et du développement durable de l’université anglaise d’Exeter. Les ”pièges écologiques” les enferment donc dans un habitat inadapté à leur survie et à leur mode de fonctionnement.
Spheniscus Demersu, manchot fidèle
Classé parmi les espèces en danger sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), le manchot du Cap est victime d’un cercle vicieux. C’est à se demander comment une espèce si prisée des touristes peut en être venue à passer de 32 000 individus à 3000 en un siècle, selon les chiffres du gouvernement sud-africain. Cette famille de manchots n’est pourtant pas la cible de braconnage.
Son mode de reproduction assez particulier ne lui permet pas de se multiplier sur une courte période. Le Manchot du Cap est monogame. Il garde son compagnon (ou sa compagne) à vie. Autrement dit, l’oiseau austral ne change pas de partenaire jusqu’à sa mort. Bien loin de s’être adaptée aux standards romantiques tourmentés du XXIème siècle, sa population ne peut stopper le processus d’extinction qui poursuit ces petits animaux d’Afrique du Sud. Mais leur mode d’accouplement n’est pas la cause majeure du déclin.
L’Homme, entre tourmente et manne d’argent
Ils sont environ 60 000 touristes par an à fouler les planches le long de la mer. Smartphones en main, parés aux selfies, avec en arrière boutique les becs ébahis et curieux des manchots, ces visiteurs créent un va-et-vient permanent dans le sanctuaire. Si l’entrée payante, de 55 Rands, soit à peu près 3 euros, contribue à la recherche et à la préservation des oiseaux marins, la présence de l’Homme constitue un vrai paradoxe. Car la raison principale de l’extinction de l’espèce australe émane bien des humains.
“Le manque de poisson est l’un des problèmes majeurs du manchot du Cap, dû au déversement de pétrole des bateaux dans la mer et à la surpêche présente sur les côtes”, affirme Richard Sherley, le zoologiste. La pêche industrielle est un des facteurs les plus importants de ces leurres environnementaux. Néanmoins, certains habitants sud-Africains ont pris conscience du danger de disparition des manchots du Cap. “Leur environnement est de plus en plus menacé au fur et à mesure que le développement humain empiète sur leur habitat et que les températures actuelles augmentent”, affirme David Viljoen, un doctorant de l’université du Cap en développement durable. C’est pour cela qu’ils sont désormais protégés par le Département des Affaires Environnementales du gouvernement sud-africain et que les oiseaux du Cap sont devenus une attraction touristique, donc rémunératrice et intérêt collectif.
“De nos jours, le plus grand danger qui les menacent sont les interférences avec les humains” explique Louise Gadney, ranger pour la réserve nationale du Sud du Cap, Sanwood, en charge du territoire de Boulders Beach. Vêtue d’un uniforme kaki et d’une veste noire, cette jeune femme patrouille autour de la plage touristique. Tous les jours, elle essaye de nettoyer les déchets jetés par les voyageurs, tout en vérifiant qu’aucun manchot ne souffre de maux. Malgré l’effort concilié des rangers et des scientifiques, des touristes effrontés trouvent toujours le moyen de venir interagir physiquement avec les animaux.
Marcher sur des œufs…
Il y a une quarantaine d’années, les œufs des manchots étaient très prisés par le peuple sud-africain. Leur ramassage demeure interdit depuis 1967. Cette nourriture remplaçait les œufs d’autruches, onéreux, et changeait de ceux des poules. Un régal pour les papilles, certes, mais une promesse de mort pour les oiseaux marins. La tradition culinaire a depuis évolué. Pour les habitants du Cap, manger les œufs des spheniscus demersus n’a plus aucun sens. “Leurs progénitures n’auraient jamais dû être la cible de nos grands-parents”, s’exclame Garron Karamitas, un citoyen de Cape Town. L’homme est un ‘’Afrikaans’’, descendant des colonies néerlandaises installées depuis des siècles en Afrique du Sud. Sa carcasse frise le mètre 90.“Les manchots d’Afrique sont des créatures si douces et inoffensives, cela n’aurait pas dû arriver”. Cette chasse à l’œuf a débuté dans les années 1980s. A l’époque, les locaux ne savent pas qu’une telle pratique décimerait alors l’espèce. “Le fait que les générations précédentes mangeaient uniquement les oeufs montrent qu’ils ne pensaient pas que les colonies s’effondreraient.” témoigne David Viljoen. Chaque soir les patrouilles de rangers guettent que la chasse à l’oeuf ne redevienne pas une habitude.
Les résidents de la région d’Afrique du Sud où se rassemblent les manchots tout au long de l’année, semblent davantage concernés par l’extinction de leur espèce nationale. “C’est vraiment décevant qu’il ne reste qu’une seule colonie en Afrique du Sud !” s’indigne Garron Karamitas. “Les mesures appliquées depuis une vingtaine d’années, telles que le respect de leur habitat ou encore les distances raisonnables avec les humains, devraient être plus nombreuses pour que cette unique colonie ne disparaisse pas de notre pays.”, souligne le Capetonien.
David Viljoen se rallie à l’avis de Garron Karamitas, lui aussi inquiet pour le futur de l’oiseau australe. “Il est essentiel qu’ils continuent à se reproduire. C’est très important que les oeufs soient protégés par le gouvernement avec l’aide des associations environnementales.” Leurs petits aux chauds, les spheniscus demersus doivent être également relocalisés. Leur habitat ne subvient plus à leur besoin. Pour repeupler les côtes, la colonie doit trouver d’autres plages où le poisson est davantage en abondance.
Mauvaise plage
Les manchots du Cap ont fait de Boulder Beach et de Stony Point (situé entre Le Cap et Hermanus) leur nid. “C’est une décision de l’espèce et non forcée par l’homme”, précise la ranger Louise Gadney. Le territoire qui sert de refuge à cette espèce n’est pas son premier habitat naturel. Leur colonie a été observée pour la première fois à cet endroit en 1983. Depuis cette plage est entièrement investie par celle-ci. Des scientifiques y ont aménagé de petites niches en plastique qui forment des abris pour les oiseaux marins. Au départ, les spheniscus demersus avaient trouvé l’environnement idéal, jusqu’aux premiers signes de manque de nourriture observés dans les années 2000.
Aujourd’hui, ils n’arrivent plus à y se maintenir par leurs propres moyens. Protégés, défendus, mais pas (encore) nourris par les écologistes et zoologistes d’Afrique du Sud, leur démographie n’a toujours pas progressé positivement. ‘’Leur taux de survie chute”, explique une étude menée par l’Université d’Exeter et de Cape Town, datant de février 2017. “Les manchots en bas âge cherchent des endroits où la mer offre de basses températures et un important taux de chlorophylles” peut-on y lire, “ce qui veut dire qu’ils cherchent une forte présence de planctons et de poissons qui se nourrissent”. Mais les événements provoqués par l’homme telle que la pêche industrielle, mais également le réchauffement climatique (que subit la Terre), empêchent ainsi l’oiseau marin de refaire son nid dans un endroit stable. Les courants marins du Cap ne semblent plus adaptés. Pourtant les écologistes n’ont pas dit leur dernier mot.
Les jeux ne sont pas faits
Tout n’est pas perdu pour les cousins des pingouins. David Viljoen confirme que les Sud-africains ont encore espoir de voir renaître le spheniscus demersus de ses cendres, tel le phoenix. “Il est important d’observer si la protection va continuer et quel parti prendra l’homme ces prochaines années envers son environnement.” souligne-t-il. “En tant qu’unique colonie, la compétition pour les ressources est moindre pour les manchots du Cap. Cela devrait suffire à créer un équilibre qui relancera, certes petite, une nouvelle population de manchots du Cap.”
Tout est mis en œuvre pour essayer de sauver une colonie “stable”, d’après la ranger Louise Gadney. Pour l’instant, il n’y a pas de solution idéale pour l’espèce, mais les scientifiques gardent eux aussi espoir. “Nous travaillons avec le gouvernement sud-africain pour essayer de conserver les sardines et les anchois nageant dans les eaux proches de Boulders Beach et de Stony Point.” précise Richard Sherley, le regard confiant. La plage fait déjà partie d’une réserve naturelle, et la pêche y est formellement interdite. Les scientifiques veulent étendre cette protection aux alentours et ils ne sont pas seuls : de nombreuses initiatives de conservations, telles que les aires marines protégées, sont également soutenues par le gouvernement. La prochaine étape sera de créer de nouvelles colonies dans le Cap Occidental, “dans un habitat riche” confirme le scientifique. “Nous sommes optimistes face à la situation, le déclin peut être arrêté, voire inversé, si l’homme respecte son environnement”.