“C’est parce que les animaux ne causent pas qu’il faut plaider leur cause”, cette citation de Szczepan Yamenski résume, en elle-même, parfaitement, le combat du collectif en charge du projet #WeAreTheOrca. Lorsque, fin juillet 2018, l’orque Tahlequah était aperçue et filmée dans les eaux du Pacifique, poussant inlassablement le corps sans vie de son nouveau-né pour l’empêcher de couler, la planète entière découvrait, avec émotion, l’existence d’une véritable tragédie dont le dernier acte semblait, à l’époque déjà, alarmant. Ils se nomment Little Gypsy, Léa Camilleri, Bruno Maltor, Marie Wild, Fab Wild Pix, le Grand JD, ils sont youtubeurs et ils ont décidé de tout tenter pour changer la fin de cette pièce macabre qui, bien malheureusement, si rien n’était fait, pourrait voir le rideau se baisser pour la dernière fois sur ces cétacés considérés, par de nombreuses cultures, comme étant les seigneurs légitimes de nos Océans. Aujourd’hui, plus que jamais, le message des associations protectrices de ces géants aquatiques est clair, si les orques sont les acteurs victimes d’une mise en scène à l’issue dramatique, l’être humain en est le réalisateur. C’est à lui qu’il appartient de modifier le scénario.
Comment le projet “We Are The Orca” a-t-il vu le jour ?
Il y a trois ans, j’étais venue sur l’île de San Juan afin de rencontrer les orques. Elles me passionnent depuis que je suis toute petite. Mais ce n’était alors pas la bonne saison. Je suis donc revenue il y a deux ans avec, dans l’esprit, l’intention d’y rester plus d’un mois. Chaque jour je passais des heures sur la plage à les attendre. Pendant ce temps j’ai pu établir le contact avec les locaux et les structures déjà en place. Je m’étais tout naturellement proposée afin d’effectuer du volontariat pour ces organismes, notamment en matière de recensement des orques.
Les responsables de ces cellules de défense des orques m’avaient expliqué que le constat était sans appel, la situation se dégradait invariablement avec le temps.
J’avais, par la suite, été sollicitée pour réaliser une vidéo traitant de la problématique des orques sur place mais, à l’époque, je n’étais pas suffisamment en place en matière de réseau et je sentais que ce n’était pas le bon moment. Je manquais de visibilité. Il y a un an, tout se débloqua, les signes montraient que l’instant était devenu propice au montage de ce documentaire. C’est là que l’équipe de Coextinction m’a proposé une collaboration. Des liens se sont créés. De mon côté j’ai démarché auprès d’amis youtubeurs tels que Léa Camilleri, Bruno Maltor et Marie Wild. Après quoi Fab Wild Pix a également rejoint l’aventure, emmenant Le Grand JD dans son sillage. Au total je ne pouvais pas rêver meilleure équipe que celle-ci. Nous sommes donc partis sur San Juan, et, avec l’aide précieuse de Coextinction, le projet a vu le jour.
Sur quels critères vous êtes-vous basé pour le choix de l’équipe de youtubeurs ?
J’en connaissais la plupart et j’aime leurs façons de travailler, leurs mentalités. Je savais que ces personnes-là allaient croire et adhérer à ma démarche. Je ne doutais pas un seul instant du fait qu’ils allaient s’investir à cent pour cent dans le projet.
Comment s’est déroulée cette expérience ?
C’était incroyable. Je ne voulais pas m’attendre à un résultat quel qu’il soit afin d’éviter d’être déçue. J’avais peur que le projet n’obtienne pas les répercussions nécessaires pour sa complète réalisation. Le final va bien au-delà de mes espérances en matière d’engagement, de réalisation du projet et de la communication traitant de celui-ci.
Comment les autochtones vivent-ils la tragédie accompagnant la disparition des orques ?
J’avoue n’avoir eu le temps que de recevoir des on-dit sur le sujet mais ils sont visiblement très attristés par le phénomène. Beaucoup d’entre eux protestent, manifestent dès qu’ils le peuvent. Les orques ont une place élevée dans leur culture et leur société. Sur les totems, les orques sont côte à côte avec les saumons. Le lien rattachant ces deux animaux est très symbolique ici. Les habitants de l’île savent à quel point tout est imbriqué dans notre monde. Un changement de situation est, ici, très attendu et désiré par tous. Mais le sentiment d’impuissance est omniprésent.
Peux-tu nous parler de l’association FOLKS (NDLR : Friends Of Lime Kiln Society) ?
Il s’agit de bénévoles, principalement des retraités, qui font de la sensibilisation sur la protection des orques et l’environnement. Ils sont basés sur l’un des phares de l’île et plus précisément sur une des pointes au-delà de laquelle les orques croisaient encore il y a quelques années de cela. Ils ne fonctionnent pas par le biais d’opérations coups de poings, mais bien en utilisant essentiellement la communication. Leur action est primordiale.
Début Septembre 2018, vous étiez encore sur place. Quelles ont été vos dernières constatations ?
Tout d’abord, il faut bien l’avouer, le premier sentiment partagé à l’unanimité est la tristesse. Sur place, nous sommes les témoins directs de l’extinction des orques. Lors de la semaine passée sur l’île, une orque supplémentaire est décédée. Cet évènement avait vraiment affecté notre moral. Il faut réellement, et plus que jamais, faire quelque chose.
Et quand je dis “faire quelque chose”, je veux dire faire quelque chose maintenant.
Nous sommes concrètement face à la disparition d’un animal. Lorsque vous en parlez avec les habitants de l’île, il n’est pas rare que ceux-ci se mettent à pleurer, c’est désolant. En contrepartie, cette situation nous a donné l’esprit combatif indispensable à la réalisation de cette lutte. Il y a vingt ans de cela, sur San Juan, vous pouviez voir les orques passer au large plus de huit fois par jour. Nous ne les avons vu qu’une seule fois en une semaine. Utopiquement parlant, je pensais qu’avec notre action, en une semaine, les choses allaient bouger d’elles-mêmes. Mais très vite tu te rends compte que les lobbies impliqués derrière ont un pouvoir immense en matière de muselage et de censure. Cependant, nous ne lâcherons rien.
Quels étaient les enjeux de cette expédition ?
Ma première fierté est de reconnaître que ceux-ci ont été atteints. Il s’agissait de faire signer plusieurs pétitions. La première s’oppose au maintien des barrages fluviaux empêchant la remontée des saumons lors de leur migration. Cette pétition existe depuis quatre ans mais elle avait du mal à récolter des signatures. Nous sommes parvenus à la faire signer par cinq cents mille personnes.
Une autre invite à se dresser contre le pipeline de Justin Trudeau, premier ministre canadien. Nous avons aidé le #WeAreTheOrcas à se développer.
Nous avons conscience d’avoir vraiment sensibilisé une grande partie du public sur la nécessité d’agir promptement, alors qu’il y a quelques mois de cela, peu de gens avaient connaissance du problème des orques résidentes du sud. Les médias nous ont, très gentiment, énormément relayés. Et enfin, nous avons ouvert une cagnotte afin de soutenir le mouvement. Nous voulions obtenir quinze mille euros et nous sommes arrivés à plus de vingt mille euros. Cet argent a été reversé aux défenseurs des orques fin octobre. Au-delà de l’aspect financier, il me semble important de faire passer le message à tous les acteurs de cette cause que nous ne les oublions pas, qu’ils ne se battent pas en vain et que leur voix est entendue de par le monde. Ces enjeux réalisés, l’objectif est maintenant de toucher encore plus de personnes, plus de medias.
Il faut que les barrages soient détruits afin que les orques puissent retrouver leur source première d’alimentation, les saumons.
C’est sur ce point que nous allons nous focaliser à présent. Une des actions mises en place en ce sens avait été de rassembler un grand nombre de citoyens américains et de les inviter à téléphoner au gouverneur de Washington pour lui demander la destruction de ces infrastructures. En une journée, mille cinq cents appels venant de la planète entière ont été donnés. L’idée d’une marche de dix jours entre Seattle et le lieu où sont construits les barrages est envisagée également. Tout ceci est très nouveau pour moi, c’est pourquoi il m’est indispensable de m’entourer de gens d’expérience et d’obtenir tout le soutien logistique possible.
Qu’en est-t-il de la réaction des politiques ?
Je dirais que, malheureusement, de ce côté-ci, énormément de choses restent à faire. C’est parfois décourageant de constater que ceux qui ont le pouvoir d’intervenir, ne font rien. Il existe une loi aux Etats-Unis encadrant la protection des orques. Elle était totalement inexploitée.
Le jour où la presse s’est emparé de l’affaire de cette maman orque qui avaient continué d’accompagner son bébé décédé pendant dix-sept jours, bouleversant les spectateurs, le gouvernement avait soudainement lancé une campagne de propagande afin d’essayer de faire croire au public qu’il faisait quelque chose.
Nous voulons faire réagir ces politiciens sur l’absurdité de laisser en place ces fameux barrages qui sont inutilisés depuis trois ans maintenant.
Quand on sait qu’il faut compter au moins deux ans pour pouvoir retirer ces barrières artificiels, afin d’éviter le risque d’inondation, et un an pour que les saumons commencent à remonter, on comprend que la vitesse est une donnée déterminante dans cette action. Une décision politique doit être prise, plus que jamais, et dans les plus brefs délais. Il s’agit ni plus ni moins d’empêcher les orques de mourir de faim, de disparaître.
Texte de Aurelie Kula
Photo We are the orca
www.facebook.com/SeaShepherdFrance/videos/588072084929041/
www.youtube.com/watch?v=_x9D6g91w5I