Par Kamel Benabid
« Pirates des Caraïbes », vous connaissez ? Oui, j’imagine, car rares sont ceux qui n’ont pas entendu parler des exploits de Jack Sparrow dans la célèbre trilogie cinématographique des studios Disney. Eh bien, ma première rencontre avec Sea Shepherd aurait presque pu faire l’objet d’un quatrième volet à part entière. Ou au moins de la séquence d’ouverture. Bon d’accord, cela ne mérite peut-être qu’un modeste supplément à inclure sur la version Suprême édition du DVD. Mais l’histoire mérite d’être contée, jugez-en donc par vous-même.
Corsaires en eaux marseillaises
Début juillet 2015 au large de Marseille. Je rentre d’une plongée entre amis. Le bateau trace son chemin dans la sérénité : beau temps établi et eau avoisinant les 27 degrés. Soudain, j’aperçois un voilier noir avec des têtes de mort dessinées sur la proue et battant pavillon pirate.
Mille sabords, serions-nous menacés ? Parce que l’attaque est la meilleure des défenses, je me lance à l’abordage de l’embarcation. Je dégaine alors mon dôme à double poignée dans l’intention de les éblouir. Du pont, j’en profite déjà pour mitrailler à tout va les assaillants. Puis, je me jette à l’eau et continue à déclencher des rafales d’images.
Impressionné, Jack Sparrow, dresse le drapeau blanc et me propose d’entamer des pourparlers à bord de son navire. Il m’explique que sa mission est en fait des plus pacifiques et que son équipage et lui apprécieraient que je me batte à leurs côtés. Ok mais quel but poursuivent ces hommes et femmes ?
Opération Mare Nostrum
Oui, c’est vrai ça! Que viennent donc faire les Sea Shepherd sur les côtes phocéennes ? N’ont-ils pas à sauver quelque baleine en Antarctique, des dauphins à Taïji ou encore des globicéphales aux îles Féroé ? En fait, si le Columbus, le navire ambassadeur de la flotte, et deux embarcations rapides, le Loki et le Thor, sont ici, c’est dans le cadre d’une toute nouvelle opération intitulée Mare Nostrum. Point question de préserver une espèce en particulier mais toutes. L’ennemi ? Les déchets de l’homme, plus précisément les plastiques et les filets fantômes.
Ces filets de pêche, perdus ou abandonnés en mer, continuent à capturer des animaux marins pendant des décennies. Ils sont devenus un fléau pour le monde marin. Un fléau d’autant plus insidieux qu’il tue en toute discrétion poissons, tortues, oiseaux et mammifères marins dans de longues et atroces souffrances, sans effusion de sang. Comprendre loin des caméras? C’est bien pour cela que mon boitier Nikon flambant neuf, glissé dans son joli fourreau de métal rouge vif, a attiré l’attention des bergers de la mer. Le package “appareil photo sous-marin avec son plongeur-photographe local” représente un outil idéal de sensibilisation du grand public. Impossible en tant que plongeur concerné de résister à une telle proposition. Rendez-vous est donc pris dans quelques jours pour commencer les plongées avec l’équipe.
Premières immersions
8h30, base nautique du Roucas Blanc. Je débarque excité comme une puce au camp de base des Sea Sheperd installé sur un emplacement gracieusement mis à disposition par la municipalité. Le matériel chargé sur le Thor, nous rejoignons en mer le Columbus car c’est à bord du navire amiral que tous les briefings sont organisés. Une équipe de scaphandriers professionnels est présente. Tous se sont portés bénévoles. Ils nous enseignent diverses techniques, notamment celles de relevage car la mission du jour consiste à extraire de l’eau plusieurs dizaines de pneus. Regroupés les jours précédents, ils forment de gros tas sur un fond de 16 m. Les scaphandriers abattent un travail colossal. En un temps record, trois tonnes de pneumatiques sont hissées à bord. Bien évidemment, j’immortalise tout cela.
Les journées suivantes sont consacrées aux filets fantômes. Plusieurs sites ont été indiqués et, plongeur local, je guide l’équipe afin de les atteindre. En plus de divers déchets, nous remontons nos premiers filets. Quel gâchis de voir des poissons morts par dizaines dans ces pièges à l’abandon. Heureusement, nous arrivons parfois à temps pour sauver les victimes les plus récentes encore en vie, à qui nous pouvons rendre la liberté, telles rascasses, sars et langoustes, ainsi, à une reprise, qu’une splendide raie torpille.
“à vos ordres chef!”
Tous les plongeurs étant bénévoles, ils prennent des jours de congé pour participer à l’opération Mare Nostrum. Un roulement s’établit. Quand certains partent, d’autres viennent à leur tour prêter main forte. Vers mi-juillet, c’est au chef plongeur à rentrer chez lui. Je me propose pour le remplacer car l’exercice est aussi passionnant qu’éminemment utile. Pour une première campagne reposant principalement sur la participation active de plongeurs, beaucoup de procédures sont à mettre en place. L’idéal est de former des palanquées de trois, deux plongeurs intervenant pendant que le dernier observe en retrait pour assurer leur sécurité, prêt à intervenir en cas de souci.
à gauche Kamel Benabid (photo : Valérie Perez et non Kamel)
Sans oublier l’aspect logistique, conséquent, vu la taille de notre équipe. D’ailleurs à ce sujet, la contribution du GRASSM (http://www.grasm-plongee.com), club de plongée et d’archéologie sous-marine situé à l’entrée du Vieux-Port, à qui nous empruntons du matériel et qui effectue gracieusement tous les gonflages sans demander la moindre contrepartie, est à souligner. Diverses personnes dont le vidéaste René Heuzey nous prêtent également des blocs.
Je dirige les plongées depuis quelques jours et nous enchaînons les prises. Au total, pas moins de deux kilomètres de filets pêchants seront extraits de l’eau. Jusqu’au moment où le mistral se met à rugir. Pas question de mettre un plongeur à l’eau par force 7 ! Impossible de sortir en mer.
Qu’à cela ne tienne… si on allait piquer une tête dans le Vieux Port ? Ça tombe bien, la capitainerie nous en donne l’autorisation.
Vieux Port : l’électro choc
Il est 14h00 ce 27 juillet 2015, quand nous nous amarrons au quai des Belges, le quai principal qui fait face à la fameuse Canebière. Nous sommes en pleine saison estivale et c’est bondé de vacanciers. Notre présence attise la curiosité des passants et l’équipe est très sollicitée. L’accueil du public est chaleureux et les encouragements des gens nous vont droit au cœur. Et oui, on est comme ça à Marseille …
Immersion le long du quai. L’eau est plutôt claire pour un port. La visibilité est d’environ 5 m. Arrivé au fond, je tombe nez à nez avec une tête de requin ! Un peau bleue de trois ou quatre mètres, capturé le matin-même sans doute. Une prise purement alimentaire puisque les ailerons gisent à ses côtés. Et légale, puisque l’espèce n’est pas protégée. Je découvre aussi et surtout pas mal de filets de pêche. Dans les mailles, des poissons morts et d’autres agonisant. Nous parvenons à en libérer quelques-uns. Une petite victoire… Nous poursuivons notre immersion. Les déchets s’accumulent par couches : plastiques, bouteilles, vêtements, emballages divers, barrières métalliques, etc. Une véritable décharge sous-marine. Après avoir remonté quelques échantillons, nous décidons de nous écarter du quai principal. Toujours des déchets. Impossible de dire de quelle nature est le fond du port. Roche, sable, vase ? Aucune idée. À la sortie de l’eau, je suis aussi perturbé qu’un supporter marseillais lors d’une défaite à domicile contre le PSG. On me tend un micro et j’exprime mon désarroi d’un « en bas, c’est Apocalypse Now », première chose qui me vient à l’esprit. Phrase qui va être largement reprise par la suite…
Emballement médiatique
Car cette plongée, filmée, va faire le buzz. Postée sur les réseaux sociaux début août, la vidéo est partagée et vue en quelques jours plus de 100 000 fois ! Les médias web relaient l’information, bien au-delà de nos frontières : Canada, Suisse, Espagne, Afrique du Nord, etc. Les chaînes généralistes entrent également dans la danse On me sollicite pour parler en direct lors du 20h de BFM TV. Paniqué, j’appelle la présidente de Sea Shepherd pour savoir ce que je dois dire. « Tu fais partie de l’équipe, tu connais notre mission. Il te suffit de parler de ce que l’on fait et de faire passer le message » me répond-elle.
Et dans le rôle de porte-parole… Kamel…
Après BFM, la folle course médiatique se poursuit, avec notamment TF1 et France 3. Le message m’échappe en partie car les journalistes recherchent surtout le côté sensationnel. Ils font encore le procès à Marseille d’être « une ville sale ». Les raccourcis sont faciles. Cela n’excuse pas tout mais on oublie de préciser qu’il s’agit ici de l’avant-port de la seconde ville de France, sis à dix mètres à peine d’une sortie de métro. Un endroit où, entre les soirées de feux d’artifices, les trophées gagnés par l’OM, les manifestations contre telle ou telle mesure du gouvernement et les spectacles divers, se donnent régulièrement rendez-vous et défilent rarement dans le calme, plusieurs centaines de milliers de personnes! Sans compter les rafales de ce fichu mistral qui poussent tout à la mer. Je suis partagé entre un sentiment de fierté d’avoir participé à la réalisation de ces images et un sentiment d’avoir été instrumentalisé par les médias puisqu’une partie seulement de mes propos a été rapportée. Mais j’imagine que c’est le jeu. L’essentiel est qu’il y ait eu une prise de conscience par la population que… la mer, ce n’est pas une poubelle! http://goo.gl/gHRvON
Premiers bilans
L’opération Vieux Port a donc eu un énorme écho. Pourtant, ce n’était qu’une parenthèse sur un mois entier d’actions à Marseille, avant que le convoi Sea Shepherd ne reprenne la route vers l’Est. Plusieurs étapes : Hyères, Cannes puis l’Italie, l’Espagne et retour à Marseille avec des arrêts possibles dans le Sud-Ouest. À ce jour, quelques kilomètres de filets fantômes supplémentaires ont été sortis de l’eau.
Au final, cette aventure aura permis de perfectionner et d’optimiser les techniques d’intervention. Félicitations à tous les nombreux bénévoles qui se sont succédés et ont fourni un travail remarquable.
Les grandes lignes des prochaines campagnes Mare Nostrum sont établies et se préparent déjà. Il est en projet également que Sea Shepherd crée des antennes locales « Sea Shepherd Dive » où des plongeurs confirmés seront formés pour aider à des actions de nettoyage des fonds marins, en partenariat éventuel avec d’autres associations.
Quant à moi, cette large mobilisation de bonnes volontés, les résultats concrets obtenus et leur impact médiatique… qui m’a largement dépassé, m’ont conforté dans l’idée que j’ai choisi LA bonne organisation pour défendre des causes chères au cœur de tous les amoureux de la mer.
En savoir plus
Pour se tenir informé des actions de Sea Shepherd, au niveau local ou dans le monde :
http://www.seashepherd.fr
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0 commentaire
Salut Laurent,
Je viens de regarder sur le site, les résultats sont pour le 19/12 ; mais as-tu une petite idée des scores ?
Oz