L’humeur de Francis Le Guen
Parce que des fois, faut quand même pas déconner !
Crédits musique : Erwan & Eric Le Guen
Bon, la première plongée sur une épave, je veux bien : un petit côté chasse aux trésors… Bon. Mais la deuxième ? La troisième ? Les autres ?
J’en ai plongé tellement des épaves que j’en ai perdu le compte. D’ailleurs, lors de ma première plongée en mer, j’en ai trouvé une d’épave. La chance du débutant ! C’était autour du rocher du Skeis, en Bretagne nord, avec un groupe de plongeurs démineurs ; dans un courant de huit nœuds qui nous obligeait à nous déhaler sur les tiges des laminaires sous la frondaison des algues, deux mètres plus haut…
Je n’avais que deux plongées d’initiation dans le port au compteur mais j’avais compris que pour tenir un cap dans ces conditions, il fallait se cramponner sérieux. En l’occurrence, je venais de trouver une bonne prise : un bout de bois qui dépassait du fond de gros sable coquillier, ondulé par le courant. Des bouts de bois, il y en avait tout autour d’ailleurs. Et des tessons de verre aussi. Mon mentor frisait l’apoplexie en agitant le doigt vers le sol. Et j’en déduisis que l’épave de La Sainte Marthe avec sa cargaison de rhum, celle qu’ils cherchaient depuis des mois, elle était là !
Quoi c’était ça une épave ? Ce tas d’immondices ? On m’avait promis un galion, toutes voiles dehors, avec des coffres, des joyaux en veux tu en voilà… Bon…
Mais les épaves fascinent les plongeurs. C’est ainsi. Pour ma part, ce qui m’a toujours dérangé c’est le côté artificiel de la chose. Comme un corps étranger venu de plus haut pour mourir dans la mer… Et celles qu’on coule intentionnellement me mettent encore plus mal à l’aise : alors là, c’est Disneyland ! Les plongeurs aiment les décharges ! Mettez un vélo ou une moto sous l’eau et c’est l’émeute… A leur décharge, il y a des fonds bien pauvres et il faut les enrichir de cochonneries pour pouvoir jouer… Au fait, de grâce, arrêtez avec les toilettes ! C’est fou cette fascination pour les chiottes des épaves. On ne compte plus le nombre de photos qui circulent sur le sujet…
Plonger sur de la ferraille : il y en a pourtant qui y croient dur comme fer ! Et pourtant, au départ, c’est une pollution. Tout le monde crie au drame. L’Amoco Cadiz, le Haven… Mais dès que les navires sont sous l’eau, voilà que les plongeurs rappliquent et ça devient un sanctuaire !
Qui préfèrerait les cimetières aux garrigues ? Osons un parallèle avec la vie «de surface»… Il se trouve que mes voisins marseillais de La Cayolle (un quartier mal pacifié) brûlent tous les weekend des voitures volées – faut comprendre, c’est des jeunes – dans un vallon de nature vierge (enfin presque). Il m’arrive d’aller randonner par là… Imaginons un instant qu’au lieu de tourner le dos aux épaves de bagnoles pour profiter des cades et du thym sauvage, je rampe au contraire dans les squelettes calcinés : vous me tiendriez pour fou, n’est ce pas ? Alors !
Les épaves antiques, c’est encore pire : on ne voit rien ! Il faut sucer ! Et alors qu’est ce qu’on découvre : au mieux, une cargaison d’amphores, au pire, de piteuses membrures qui ressemblent aux restes d’un poisson dans l’assiette…
Les fondus d’épaves ne manquent pourtant pas d’arguments pour expliquer leur passion : l’ambiance, le réservoir de vie, les vestiges du passé, la mémoire du drame… Et patati et patata…
Parlons-en de l’ambiance. Les épaves, c’est souvent la profonde. Mais ne vous méprenez pas : c’est l’azote qui crée l’ambiance, pas l’épave : essayez un peu de faire la même plongée au trimix, vous verrez. Une plongée déprimante avec souvent ce leitmotiv dans la tête : «Mais qu’est ce que je fout là ?».
En plus les épaves s’est super dangereux. C’est quand même qu’un tas de ferraille ! Qui rouille ! Et qui s’effondre pour un oui pour un non. Ya qu’à voir le dernier Call of Duty : Ghosts “Into the Deep”… D’autant qu’on ne peut pas s’empêcher d’entrer, d’aller se coincer dans le moindre cul de sac. Je comprends çà, remarquez : je suis un troglodyte. Le moindre trou je m’y enfonce. Alors, évidemment, une épave… C’est plein de trous ! Avec Yves Gladu, en tournage dans les entrailles de l’Amoco Cadiz, nous avions été aspirés par une brèche de l’épave. Travelling involontaire dans les cales immenses avec au loin la lueur verte du jour, dix mètres dans un sens, dix mètres dans l’autre, à prendre des postures de toréador pour ne pas finir empalé sur les épées de rouille. De la plongée çà ? Du suicide, oui !
Concentration de vie ? Ouais. Bon. C’est vrai que les épaves sont des points de fixation de la flore et de la faune… fixée. Et qu’il y a autour des poissons en pagaille. Ca grouille. A Bali, sur l’épave du Liberty, il y a presque autant de poissons que de japonais ! Tiens, à propos, il faudra que je vous raconte ma plongée dans les cales d’un navire inconnu à Djibouti où j’ai croisé une loche de plus de 3 mètres. Un seul petit couloir pour sortir… C’était elle ou moi.
Mémoire du drame ? Sans doute… C’est vrai qu’à Truk Lagoon, le grand jeu était de se faire photographier avec des crânes de japonais. Très fin. Ben oui, c’est plein de morts, une épave ; la plupart du temps il y avait des gens sur les bateaux, avant qu’ils coulent… Plonger avec les macchabées, mouais. Enfin, c’est vous qui voyez…
Non, la vraie raison de notre fascination pour les épaves, je vais vous la donner : c’est la cabane au fond du jardin, la grotte aux trésors, la nostalgie de l’enfance. Et peut être aussi, au travers des membrures qui lentement retournent à la mer, le miroir de nos existences. Un voyage prémonitoire dans notre destinée…
Bon, je vous laisse, c’est bientôt l’heure d’aller plonger en Égypte. Une croisière. Spéciale épaves…
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ET ENCORE UNE FOIS BRAVO AUDREY!!!