L’humeur de Francis Le Guen
Parce que des fois, faut quand même pas déconner !
Crédits musique : Erwan & Eric Le Guen
J’assistais dernièrement à une soirée fort arrosée entre plongeurs, même si je restais sec moi même (tout le monde sait que je suis sobre comme un séminariste…). Inévitablement, narcose aidant, la conversation roulait bord sur bord, enfonçant les lapalissades et défonçant les lieux communs, chacun y allant de sa petite anecdote, de son souvenir de guerre en refaisant le monde… de la plongée. Par moment, on retrouvait même les accents désopilants des «Inconnus» et de leur fameux sketch «Le bon et le mauvais chasseur»… Ce qui donnait à peu près ceci :
– Le mauvais plongeur…
L’homme qui parle, liqueur en main, est en pleine déliquescence sur le canapé. C’est un adepte de l’eau de vie, des alcools forts… Instructeur. Respect. Nous l’appellerons Jack (Daniels).
Ben quoi, le mauvais plongeur ? Accouche ! s’écrie son vis à vis, qui brille comme un sémaphore. Lui est amateur de vin rouge. C’est un bon vivant, rigolard, couperosé comme un raton laveur qui aurait l’anus du mandrille. Il boit français. En quantité. Et plonge tous les mois. Profond. Baptisons le Pinard.
Jack reprend :
– Mettons, t’es sur un tombant. Tu me suis ? Ben le mauvais plongeur, y descend, y descend, il est narcosé et…
– Mais le bon plongeur, c’est pareil, non ? demande Pinard.
Aaah non ! Le bon plongeur, y descend, y descend et… au bout d’un moment, oui, il est narcosé. Mais… C’est un bon plongeur, quoi !
Ouais, ouais, ouais… Pas clair ton truc ! Pinard se ressert un verre.
Et comment que si ! dit Jack. Tiens, mettons, le mauvais plongeur, il se leste toujours trop ? Ben arrive un moment où il coule ! Comme un plomb ! Vas le récupérer… Le bon plongeur, par contre, il coule, mais c’est voulu ! Il emmène toujours un ou deux plombs de plus, histoire de sauver le coup si un membre de la palanquée est trop peu lesté à la remontée. Tu piges ?
Je pige surtout que les deux coulent, dis Pinard…
Nan ! C’est comme le briefing : le mauvais plongeur, il l’écoute jamais le briefing. Le bon plongeur il l’écoute pas non plus mais c’est parce qu’il connait le site ! Et il a autre chose à faire…
Moi, ce qui me tue, dit Pinard, ce sont tous ces mauvais plongeurs qui nagent avec le bras tendu : faut toujours qu’ils touchent à tout.
T’as raison, dit Jack. Remarque, ça m’arrive souvent d’attraper des bestioles, un poulpe, un oursin… Mais c’est pour montrer aux débutants, tu comprends ? Aux mauvais, quoi. Ils ont de la merde dans les yeux ! Le pire c’est quand on se retrouve dans le corail pour des exercices. Pour pas être embêté, j’ai l’habitude de décaper un peu avec le cul de la bouteille, tu vois, histoire de pouvoir asseoir 5 ou 6 gus. Et ben tu me croiras si tu veux mais y’en a des tas qui se retrouvent dans la partie pas nettoyée. Je te dis pas les tranchées qu’ils creusent ! Tu te rends compte, si tout le monde faisait çà ?
C’est des cons, déclare sentencieusement Pinard. C’est comme la vitesse de remontée. T’as vu le temps qu’il leur faut maintenant ? Moi, j’ai appris à remonter à 20 m par minutes. Maintenant, c’est la moitié ! Et que je te fais un palier de «sécurité», et que j’attends que mon ordinateur dernier cri ait fini sa sieste, alors que toi, tu te les cailles. Faut quand même pas déconner. J’ai fait un paquet de plongée en remontant allègrement et ça ne m’a pas tué. Des fois, on avait des rougeurs, c’est tout…
Toute façon, moi, je connais pas un accident de décompression qui n’ai pas été soigné par une bonne rasade de gnôle, en sortant, dit Jack. Ces histoires de caisson… Faut vraiment le vouloir.
Ouais, dis Pinard, j’en ai même connu qui la prenait en préventive, la gnôle. Au fond, t’es mieux…
Sûr. Ca n’a jamais fait de mal à personne… Quant au palier de sécurité, moi, je le fais sous la douche…
Ouais, les mauvais… Faut s’en méfier, déclare Pinard, le regard vitreux perdu dans le vague. Tiens, pas plus tard que le week-end dernier ! Je baladais trois pingouins du côté de Moyade… Une quarante, tranquille. Évidemment, il y en a un qui a pompé sa bouteille en un rien de temps si bien qu’il a fallu remonter. Et, là, dans les vingt mètres, je vois sur le fond un col d’amphore qui dépasse du sable mon pote ! Si ! T’aurais fait quoi à ma place ? Bon, j’ai signalé aux élèves de rester là et de pas bouger et j’ai piqué au fond : y me restait de l’air. Le temps de secouer un peu la cruche pour la dégager et voilà que j’entends des bulles derrière moi… Je me retourne et je tombe sur le clampin qui respirait trop, avec des yeux de lémuriens derrière son masque. Il avait rien compris et m’avait suivi ! Tu te rends compte ? Attends : voilà qu’il me fait une panne d’air au fond ce con ! Obligé de lui passer mon embout et de le remonter. C’était l’amphore ou lui. Je reconnais que j’ai hésité…
Jack opine du bonnet et se ressert un verre.
Au fait, tu serais partant pour une spéléo ce week-end ? C’est pas pour les mauvais…
Ouais mais j’ai pas de bi !
T’inquiète, j’ai une 15 litres deux sorties : deux détendeurs et c’est marre ! On reste groupés et on est des bons. Qu’est ce que tu veux qu’il nous arrive ?
T’as raison Jack ! A la tienne !
Oui, au milieu du gué, vers une heure ce matin là dans le Bouchonnois, j’en ai entendu de belles, des vertes et des pas mûres… Tout ça pour vous dire que nous connaissons tous des bons plongeurs et des mauvais plongeurs. Mais est-ce qu’on parle bien des mêmes ?
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Roberto…. mio palmo ! Merci pour le tuyau je vais enregistrer ce doc.