L’humeur de Francis Le Guen
Parce que des fois, faut quand même pas déconner !
Crédits musique : Erwan & Eric Le Guen
Il y a quand même une pratique qui se perd, c’est le feeding. Vous savez, le nourrissage des animaux marins pour pouvoir les observer tranquillement… L’appâtage, le gavage, quoi… Qui a maintenant mauvaise presse sous prétexte que cela modifierait le comportement des animaux et des requins en particulier…
C’était cool pourtant : on vous posait en rang, le cul dans le sable, avec interdiction de bouger et vous aviez le droit de regardez le moniteur faire le guignol avec un poisson dans la main ou même dans la bouche. Bon, des fois, il y avait des loupés et le requin repartait avec un morceau en plus… Le martyre des crétins. Mais quel cirque !
Le feeding était pourtant une longue tradition issue de l’époque où on achetait dans les zoos des sacs de cacahouètes pour nourrir les singes, en cage. Maintenant, c’est les plongeurs qu’on met en cage. Le monde à l’envers !
Aujourd’hui, tout le monde est contre la pratique du feeding. C’est sale, c’est maaaal. Oui mais, dans pratiquement toutes les structures où j’ai plongé à l’occasion des tournages, c’est pourtant la règle. Il faut croire que l’offre suit la demande… Car les requins ne sont pas là par hasard, pour vos beaux yeux, soyez en sûrs. Avec tout le barouf des palanquées quotidiennes, les moulinets des palmes façon moissonneuse batteuse et les tornades de sable qui vont avec, dites vous que les requins acceptent de se faire tirer le portrait uniquement par l’odeur alléchée. Pas la vôtre mais celle des poissons morts, congelés, ventilés façon puzzle ou enfermés dans de sournoises boîtes à trous. Mais si ! Regardez bien ! C’est pareil pour les raies pastenagues, les gros mérous, et j’en passe…
Evidemment, il ne faut pas exagérer. Je me souviens d’une plongée à Crystal River en Floride où un imbécile tentait de bourrer un lamantin de bananes ! Alors qu’il ne se nourrit que de jacinthes d’eau. D’ailleurs, excédé, le placide animal avait retourné une gifle à l’abruti qui en avait perdu son masque…
Alors ? Seriez vous prêt à renoncer à une plongée si vous constatiez que le centre pratique le feeding ? Franchement ? Moi je l’ai fait. Une fois. Dans la mer de corail en Australie. Après un voyage de plus de 3 jours ou j’avais mal dormi. J’étais de mauvaise humeur. Oui, ça m’arrive ! Et je découvre alors que l’amas de requins gris annoncé n’était pas là par les hasards de Dame Nature : ce spot, si éloigné et «sauvage» soit-il, était ensemencé régulièrement de carcasses de poissons. Et bien j’ai carrément décidé de zapper cette plongée et donc cette séquence. Pas de requins dans le film ! A la place, une magnifique branche de corail mou. Une seule. Dans le désert. Oui, on n’était pas sur le bon site. Mais ceci est une autre histoire… Bon, je ne suis pas un intégriste non plus et j’ai souvent plongé sur des sites à requins dûment appâtés.
Parce que finalement, ça dérange qui, le feeding ? Les requins sont contents. Les plongeurs aussi. Les centres, n’en parlons pas. Alors ?
Avant, lors des baptêmes, on écrabouillait un oursin pour faire venir les girelles. Personne n’y trouvait à redire. C’était innocent, et éducatif. Comment çà il n’y a plus d’oursins ? Venez marcher pieds nus dans nos calanques, vous allez voir ! Ah bon, la pêche est réglementée ? On aurait déséquilibré la population en pêchant trop de femelles comestibles ? Qu’est ce qu’il ne faut pas inventer ! Aaah les écolos…
Evidemment les esprit chagrins vont nous dire qu’un requin nourri est un requin pourri. Qu’à force de s’habituer à l’homme il va finir par en croquer. Admettons. Mais franchement, ils bouffent surtout des surfeurs, les requins. Les plongeurs, on est tranquilles, non ? Alors ?…
Mais, c’est vrai, le nourrissage présente aussi des risques. Je me souviens de cette histoire qui courait en Mer Rouge, sur un certain site très fréquenté…
Un moniteur avait la bonne idée de nourrir régulièrement une grosse murène javanaise à l’aide de ces délicieuses saucisses sous plastique, vous savez, la pub : «ne passons pas à côté des choses simples»… Sauf qu’un jour, particulièrement inspiré et pour faire rire sa palanquée, il avait sorti sa propre knacki du slip pour uriner dans l’eau. Mal lui en a pris. Knack ! Gobée ! La quéquette fut tranchée nette par la murène et pas question de récupérer le morceau…
Le pire c’est que ces saloperies de murènes s’habituent ! Vous vous approchez innocemment d’un trou et la bête surgit comme un ressort, gobant ce qu’elle peut. En plongée à Hurghada avec le staff de Plongeurs International, Il y a quelques années, j’ai vu ainsi Olivier Oudon sauver son oreille droite de très peu… Les oreilles, et la queue, comme disent les toreros… Vous voyez ?
Et puisqu’on est en dessous de la ceinture, restons y avec cette autre anecdote survenue elle en Nouvelle Calédonie. Le lagon est particulièrement riche en coquillages et attire souvent les amateurs de conchyliologie et autres pêcheurs du dimanche. L’un d’eux n’avait rien trouvé de mieux que de glaner des cônes particulièrement jolis et, les mains pleines, de les bourrer dans son slip de bain pour moissonner encore.
Piqué directement dans l’artère fémorale, il n’a pas eu le temps de rejoindre le rivage. Quelle cônerie !