L’humeur de Francis Le Guen
Parce que des fois, faut quand même pas déconner !
Crédits musique : Erwan & Eric Le Guen
J’ai longtemps hésité à ouvrir ce débat qui fait toujours des vagues. Que dis-je, des tsunami ! Un vrai tabou ! Je veux parler d’un de ces diktats qui sont apparus dans le monde de la plongée au cours des dernières décennies, j’ai nommé : l’interdiction de toucher…
Sous l’eau, on regarde mais on ne touche pas ! Oui mais, quand on plonge, on remballe déjà l’odorat, le goût, les couleurs… Et il faudrait renoncer aussi au toucher? Pas question pour les sensuels ! Ce n’est plus de la plongée mais de l’isolation sensorielle !
Pour ma part, je confesse faire partie des tactiles. Voyez vous, je ne plonge pas, je fais l’amour avec la mer. Et oui ! Et à cet exercice, le toucher est indispensable. Attention hein, j’ai dit toucher au sens de caresser, pas d’écrabouiller. Et je n’ai pas du tout l’impression d’être irrespectueux du milieu, bien au contraire.
Ainsi, sous la mer, il serait interdit de prendre contact avec la faune sauvage alors qu’on caresse à tour de bras les chats et les chiens ? Que l’on touche le museau des baleines à condition qu’elles aient la tête hors de l’eau ? Que j’ai appris au Botswana à enfiler le bras jusqu’au coude dans la bouche des éléphants pour faire pression sur deux organes à la base de la trompe, opération qui, si elle est réussie, permet à l’éléphant de vous compter parmi ses amis ? Qu’on transbahute des crocodiles, des dauphins échoués, sous prétexte de les sauver ?
Mais qu’y a-t-il de si particulier sous la mer pour qu’on soit ainsi condamnés à plonger les bras croisés ?
Il paraît qu’on leur transmettrait des maladies. Qu’à force de toucher les poissons, on poncerait leur mucus protecteur, etc., etc. Oui ! Tout cela est vrai, en tout cas pour certaines espèces. Qui en général d’ailleurs, ne se laissent pas approcher. Pas folles, les espèces.
Alors on ne touche pas en plongée mais on laisse les japonais harponner les cétacés ; on admire les chasseurs sous-marins qui transpercent de beaux poissons pour les pétrir fièrement devant le photographe ? Autrement dit, pour avoir le droit de toucher des poissons, il faut les flinguer d’abord !
Ne pas toucher, moi je veux bien. Mais qui touche qui, d’abord ? Vous avez déjà plongé en Corse, aux Lavezzi, au milieu de dizaines de gros mérous et de murènes ? Ce sont eux qui viennent vous frôler, jusqu’à l’overdose. Et les clowns qui viennent vous becqueter l’entrejambe pour vous éloigner de leur anémone ? Et les balistes titans qu’il faut souvent chasser à coups de poing ? Sans parler de ces saletés de rémoras ! En plongée sur la Grande Barrière de corail au milieu des requins, je me suis retrouvé un jour avec deux rémoras d’un bon mètre littéralement collés aux fesses ! Ils n’ont condescendu à se décrocher qu’à ma sortie de l’eau, après avoir longuement baloté à l’air libre sur mon arrière train ! Une honte…
Pour ma part, approcher une espèce sauvage marine et ce jusqu’au contact si c’est possible est une preuve de grande communion avec la mer. Et je ne parle pas des gros napoléons tristement déplumés qui viennent quémander des œufs durs sur les sites ultra fréquentés… A mon sens, c’est la rencontre ultime et il n’est pas si facile que çà d’y parvenir. Essayez. Non, j’ai rien dit ! Il faut pour cela des qualités d’aquaticité et de connaissance du milieu que beaucoup d’écolos convaincus n’ont pas. Et du respec, justement.
Dites-vous aussi que les animaux ne se laissent toucher que s’ils le veulent bien ! Et il y en a qui aiment ça. Prenez le lamantin, par exemple. Grattouillez-lui vigoureusement le dos, là où il entretient un gazon d’algues et de parasites digne d’un jardin anglais. Vous le verrez aussitôt se renverser et vous présenter son ventre. Pour se faire faire l’autre face ! Les animaux ne sont pas masos. S’ils se laissent faire c’est parce que ça leur plait ! Vous n’aimez pas, vous, qu’on vous gratte le dos ? Alors…
Oui mais «Nous, les plongeurs, nous respectons l’environnement». Foutaise ! Il y a un côté faux-cul dans cette affirmation qui me fait criser. Il faut s’accommoder du fait que notre simple existence menace en permanence la survie d’espèces dont nous ne soupçonnons même pas l’existence.
On ne touche «rien», admettons, mais qui se préoccupe des bulles lâchées sous les surplombs ? Qui laissent la moitié de la faune fixée sur le carreau ? Ben oui, imaginez qu’on vous maintiennent la tête sous l’eau. Au bout d’un moment, vous crevez. Et les bassins tactiles «éducatifs» de nos aquariums ? Et le feeding ? Et la pêche industrielle ? Et la pollution due aux hôtels à plongeurs ? Pas touche ? Mon œil…
Pour comparer avec d’autres sports de nature, imaginerait-on faire de la montagne sans toucher la roche ? Ce ne serait plus de l’escalade mais de la chute libre ! Et même, question protection des écosystèmes, vous repasserez. On sait aujourd’hui qu’il y a des quantités de bactéries qui vivent dans l’atmosphère, tout un monde vivant dans les gouttes de pluie… Je vous dis pas l’hécatombe en passant à travers à 200 km à l’heure !
Je me méfie toujours des donneurs de leçons qui imposent des règles apprises sans même savoir pourquoi et par qui elles ont été élevées au rang de tabou. Au cours de nos tournages, nous avons parfois été confrontés à de semblables ayatollahs. Je me souviens en particulier de cet épisode où l’un de nos cadreurs sous-marins avait malheureusement cassé une petite branche de corail en déplaçant le caisson au cours d’une séquence. Nous ne sommes pas des «casseurs» et regrettons toujours ce type d’accident mais que celui qui n’a jamais abîmé quoi que ce soit en évoluant sous la mer me jette le premier poisson-pierre ! Toujours est-il que nous avons alors vu surgir du bleu une monitrice qui promenait une file de clients en camisoles de force. En furie, elle se rua sur le cadreur et commença, à coup de sifflet et de planchette «éducative» une véritable bagarre sous-marine. Sauf que, toute à sa rage, en reculant, elle descendit comme un château de carte toute une frange de récif avec le cul de sa bouteille ! L’algarade continua sur le pont du bateau où tout le monde était remonté (très remontés), la fautive refusant de reconnaître qu’elle avait, elle aussi, bousillé le récif qu’elle prétendait protéger.
Bon, sans vouloir balancer, j’ai aussi été témoin lors de plongées de nuit sur certains «house reefs» de vraies évolutions d’éléphants dans un magasin de porcelaine… Ils ne touchent pas avec les mains ces disciplinés plongeurs mais alors, ils compensent avec les palmes, les blocs et… bonjour les dégâts ! Tout est relatif…
Alors, touche ou pas touche ?