Ils l’ont fait ! Sebastien Devrient, guide haute montagne et cinéaste et Frédéric Swierczinsky, le plongeur de l’extrême, viennent d’achever une aventure exceptionelle : l’exploration en plongée sous glace de lacs d’altitude dans la cordillère des Andes en Argentine autour du volcan Ojos del Salado, au coeur du désert d’Atacama.
Plus de deux semaines passées entre 3500 et 5800 mètres d’altitude en autonomie totale, parcourant une distance à pied de 80 kilomètres avec une charge de 50 kilos…
Record mondial de plongée en altitude
L’an dernier, ils étaient déjà sur place pour une reconnaissance dans ce “bout du monde”. Une expédition qui s’était soldée par un demi succès, établissant tout de même un nouveau record mondial de plongée en altitude, comme le raconte Frédéric Swierczynski :
“On avait 15 jours de marche d’approche pour s’acclimater, avec un dernier camp de base à 5.500 mètres. Mais on a eu la surprise d’essuyer de fortes chutes de neige. Impossible d’accéder au lac situé à 6.400 mètres : trop de neige et de glace. Il a fallu réviser nos objectifs… Le 19 février 2019, j’ai pu plonger à 5.870 mètres, en recycleur”.
Cette année, les deux compères récidivent. Ils visent les 6.400 mètres, sur les pentes du Nevado Ojos Del Salado, une des montagnes les plus hautes d’Amérique. A cette altitude, le lac sera certainement recouvert de glace et la température de l’eau autour de 2°C.
Simulation en caisson à Marseille
Juste avant leur départ, nous étions avec eux au centre d’essais hypobares de la Comex à Marseille où ils se livraient à une simulation sous la houlette du Docteur Mathieu Coulange, chef de service de médecine hyperbare, subaquatique et maritime du pôle RUSH (Réanimation, Urgences, SAMU et Hyperbare) de l’assistance publique des hôpitaux de Marseille.
Accompagnés de médecins et de physiologistes hyper et hypobares, les deux explorateurs se sont d’abord astreints à la “dénitrogénation” : 1h au masque à oxygène, à pression ambiante, pour désaturer au maximum le corps en azote. Ceci pour éviter une embolie lors de la montée rapide en altitude. Ensuite, les portes ont été fermées et le caisson placé en dépressurisation croissante, sur une durée de une heure, jusqu’à une pression correspondant à l’altitude de 6500 m.
Les deux plongeurs se sont ensuite équipés d’une combinaison néoprène “de chasse” 5mm, de bouteilles d’air et ont franchi un nouveau sas pour s’immerger dans une cuve refroidie à 2° C. Tous leurs paramètres vitaux étaient surveillés et enregistrés jusqu’à leur retour à la pression ambiante…
En Argentine ou sur Mars ?
L’expédition à débuté par un trajet en bus de plus de 30 heures entre Buenos Aires et Cortaderas, ancien poste de douane entre le Chili et l’Argentine, aux portes du désert d’Atacama à 3500 m d’altitude. Ensuite, l’équipe de tournage a progressé à pied, avec guides et mules, sur plusieurs jours, pour laisser le temps au corps de s’acclimater à la très haute altitude.
Moments d’émotion, au col de 5.500 m, quand Fred et Seb sont partis seuls, trainants leurs charriots dans les cailloux, dans le vent et le froid mordant, à la recherche de l’eau de “là haut”… Neuf jours de marche harassante avec le manque d’oxygène, au coeur de la tempête et paradoxalement d’une sécheresse extrême, au point que les explorateurs manqueront d’eau potable et devront renoncer à progresser plus haut.
Après plus de 80 km parcourus à pied (et 10 kg de moins sur la balance), un lac se présente à 5400 m. Et le binôme plonge dans l’eau glaciale en combinaison humide et avec de petites bouteilles pour un minimum de poids à transporter. Autre record de plongée en altitude ! Ils font quelques images, prélèvent des échantillons et des spécimens, non sans surprises et entament leur long retour vers la Vie…
“On est proche d’une expédition spatiale, raconte Frédéric. Toute la préparation se fait à ce niveau-là. Il y a 8 % d’oxygène en altitude (contre 21 % sur terre). Se retrouver sous l’eau, là-haut, c’est la même situation qu’un spationaute qui fait une sortie extra-véhiculaire hors de la station spatiale internationale, dans son scaphandre. On fait des études sur les aspects physiologiques de ce type de plongée : on étudie les réactions de notre corps !”
47 ans, ingénieur système, aussi à l’aise en plongée à l’air, aux mélanges, aux recycleurs, en grotte, en lac, en résurgence et maintenant en altitude : Frédéric s’impose comme l’un des explorateurs les plus polyvalent de sa génération.
Le film long métrage réalisé par Sébastien Devrient et Vertiges Prod sera diffusé en salles en Suisse et ensuite en France avec une avant première prévue à Marseille.
Frédéric Swierczynski en quelques dates…
Mai 2016. Port Miou (Calanques de Marseille). Nouvelle galerie profonde découverte dans le puits “terminal”, à 1600 m de l’entrée.
Août 2016. Grotte de la Mescla (Gorges du Var – Alpes Maritimes) : exploration du siphon n° 3 jusqu’à -267 m.
Mai 2017. Crveno jezero (Lac Rouge | Croatie) 3ème gouffre kartstique le plus large du monde exploré jusqu’au fond à -240 m au cours d’une plongée de 180 minutes…
Mai 2019. Lac Ojos del Salado (Argentine) Record du monde de plongée en altitude à 5870 m.
Août 2019. Miljacka | Cetina Glavas & Gospodska (Balkans) : camp souterrain post siphon. Plus d’un kilomètre de premières.
Septembre 2019. Dragon breath Hole (Namibie) : plongées profondes.
D’autres projets d’envergure sont actuellement dans les tuyaux : notre marseillais au nom imprononçable n’a pas fini de nous étonner !
Les précédents records d’altitude
- La première plongée en très haute altitude a été réalisée par Cousteau en 1968 lors de sa fameuse expédition au lac Titicaca, en Bolivie, à 3810 m.
- En 1988, la Marine indienne a effectué quelques plongées au nord du Ladakh dans le lac Pangong Tso, à 4328 m d’altitude.
- C’est en 1989 qu’une expédition anglaise a plongé dans des lacs au Népal à 4877 m utilisant soit un mélange Nitrox soit de l’oxygène.
- Deux médecins français ont également réussi des plongées en altitude : Alain Gleises en 1992 dans le Dolpo au Népal (Himalaya) avec une plongée à l’air à 4400 m et Jean-Claude Le Pechon en 1993 au Chili avec une plongée à l’air et au Nitrox à 4500 m.
- En l’an 2000, des plongeurs genevois ont établi un nouveau record en plongeant à 13m de profondeur dans deux lacs du Népal : Gyazumbha II (5170 m) et Gyazumbha VI (5.523 m).