Texte & illustrations : Steven SURINA
S’il existe des domaines dans lesquels l’expertise d’une situation conduit à une conclusion formelle, dans les analyses comportementales d’animaux terrestres ou marins, aucune règle infaillible ne peut être définie. Issues d’observations empiriques, sont néanmoins nées des pratiques habituelles dépendantes des situations, qui s’avèrent toujours différentes. En effet il n’est pas possible aujourd’hui de classer les faits et gestes des animaux avec une certitude absolue. Nous pouvons cependant observer des règles comportementales valables dans bien des régions du monde, qu’il restera à adapter continuellement en fonction des situations.
Certains codes d’interaction pourront aider tout plongeur à décrypter l’attitude des requins selon les circonstances, à apprendre à comprendre leur langage corporel dans une situation spatiale donnée.
TROIS ZONES D’EVOLUTION
Nous appellerons limite spatiale du requin tout l’environnement qui englobera l’animal lors de ses phases d’approche. Par exemple, dans le bleu, le requin n’a pas de limite spatiale. Il peut partir à tout moment sans être gêné par quoi que ce soit. Sur un plateau corallien, la limite spatiale du requin sera le substrat du récif, qui ne lui permet pas de fuir à sa guise. Proche de la surface, la limite spatiale du requin sera le « plafond » créé par la surface elle-même.
Dans le règne animal sous-marin, il existe des codes d’évolution entre prédateurs et proies selon leurs zones d’évolution.
AU-DESSOUS : OBSERVATION
Lorsqu’un prédateur supérieur se trouve au-dessous de sa proie, il est en situation d’observation. Il tourne au-dessous de la zone d’évolution de sa proie ou d’un animal/objet inconnu afin de prendre connaissance de ce qui a suscité son intérêt. Il ne se rapproche pas mais recueille toutes les informations qui lui sont nécessaires pour comprendre les intentions du protagoniste. Dans ces phases d’approche, le requin n’a pas de limite spatiale, il peut disparaître à tout moment, quand il le souhaite.
AU MÊME NIVEAU : OBSERVATION PLUS FINE
Lorsqu’un requin évolue au même niveau qu’un plongeur, il cherche à affiner ses informations sur ce qui a éveillé sa curiosité. Il peut alors adopter plusieurs phases d’approches. Principalement basé sur de la curiosité, l’animal tournera sur une zone plus ou moins large autour du plongeur. Les causes de ces approches sont le plus généralement de la territorialité « passive », une stimulation alimentaire ou autre. Lorsqu’un animal est stressé ou mal à l’aise, il peut procéder à un « passage en force » sur la même zone d’évolution que le plongeur ce qui peut être parfois pris pour de l’agressivité. Les approches de ce type ont principalement lieu dans des phases où l’animal de caractère survole une limite spatiale, telle que récif ou fond marin. Cela peut aussi se produire dans le bleu avec des espèces plus craintives.
AU-DESSUS : PRISE DE CONTROLE TERRITORIAL
Les situations dans lesquelles un requin nage au-dessus d’un plongeur sont plus rares. Il faut d’abord que l’animal passe par les deux premières phases d’approche et que le plongeur reste longtemps sous l’eau avec le même spécimen. Cela peut aussi indiquer que nous sommes en présence d’un requin qui n’a pas peur de l’inconnu par nature et qu’il est donc puissant dans son biotope. Le survol d’un requin au-dessus de nos têtes se traduit par une prise de contrôle du territoire. Le prédateur devient dominant sur la zone par sa « suprématie» et son caractère. Il décidera ensuite des approches à venir : inquisitrices, passives ou craintives.
ESPACES D’ÉVOLUTION
L’homme ressent la distance de la même manière que les autres animaux. Sa perception de l’espace est dynamique parce qu’elle est liée à l’action, à ce qui peut être accompli dans un espace donné. La frontière physique de notre corps, la peau, n’est pas notre limite par rapport au monde environnant : nous nous déplaçons, une partie de l‘espace accroché à nous, sorte de bulle invisible, qui règle nos contacts avec autrui sans que nous en ayons conscience. Il s’agit des zones intime, personnelle, sociale et publique.
Nous retrouvons sensiblement les mêmes sphères d’évolution chez les requins, avec des distances différentes en fonction des espèces. D’une manière générale, c’est le requin qui décidera ou non de l’approche par rapport aux signaux envoyés par le plongeur. Si un plongeur se rapproche d’un requin sans y avoir été « invité » ou sans que le requin s’y soit préparé, il peut faire fuir l’animal. Les phases d’approche des requins, sans autre stimulus, sont longues et complexes. Lors d’une interaction, elles prennent nécessairement en compte les différentes sphères avec tout ce qu’elles impliquent.
CINQ TYPES DE COMPORTEMENTS
Comme nous l’avons vu plus haut, il est impossible d’établir des règles immuables concernant les habitants du milieu aquatique. Il existe pourtant dans le règne animal sous-marin des comportements primitifs liés à une longue évolution entraînant les animaux à réagir selon les situations de manières différentes. Ils sont programmés de façon innée pour intervenir selon qu’il s’agit des phases de prédation, de reproduction, de migration et face à l’inconnu. La rencontre du requin et de l’homme constitue la phase « face à l’inconnu ». Elle représente moins de 1% des diverses rencontres qu’il fera dans toute sa vie de poisson.
Légende : 1 – craintive / 2- hautaine / 3 – timide / 4 – curieuse
ATTITUDE CRAINTIVE
Le requin appartient plus généralement à des prédateurs de sous ordre. Il n’a pas le statut de dominant dans son biotope. Il est donc de nature farouche et lors de situations inconnues, il se contentera d’observer. S’il rentre dans l’une des autres phases face à un prédateur ou à un plongeur, il préférera quitter la zone et laisser le champ libre à l’autre espèce. Il ne se laissera pas approcher et optera pour la fuite plutôt que pour la confrontation. Ces poissons sont extrêmement sensibles au stress.
ATTITUDE D’IGNORANCE
Les requins hautains qui nous ignorent définissent au préalable leurs axes d’approche. Ils ont, dès le départ de l’interaction, toutes les informations nécessaires à leur progression. Ils ne considèrent pas l’inconnu comme un danger. Ils appartiennent le plus souvent aux maillons supérieurs de leur chaîne alimentaire. Ils passeront au niveau des plongeurs en négligeant les différents espaces d’évolution.
ATTITUDE TIMIDE
Les requins timides peuvent à la fois appartenir à des prédateurs de sous-ordre et à des prédateurs se situant au sommet de leur chaîne alimentaire. L’attitude des requins timides se traduit par un requin observateur qui ne brise pas sa section interne, donc sa zone sociale. Il nage le plus souvent sous les plongeurs ou à leur niveau en maintenant une distance de sécurité sans se mettre directement en danger face à l’inconnu. Ces requins sont sensibles au stress.
ATTITUDE CURIEUSE
Il s’agit des requins qui réalisent immédiatement que l’inconnu n’est pas une menace. Ils se montrent tout de suite curieux et il n’y a pas de phase d’approche craintive ou timide. Il s’agit le plus souvent de requins au statut dominant dans leurs biotopes. Ce sont assurément les phases d’interaction les plus émouvantes. L’animal vient jusqu’au contact avec le plongeur. La durée de ces rencontres est variable.
ATTITUDE DOMINANTE
Les dominants sont des requins appartenant aux niveaux supérieurs de leur chaîne alimentaire. En tant que prédateurs, l’interaction sera régie par des règles fixes. Elle sera donc moins flexible qu’avec d’autres espèces. Les requins « potentiellement dangereux » peuvent adopter ce comportement. Ils évoluent dans toutes les zones d’évolution, souvent au niveau du plongeur, voire même au-dessus de lui. Le plongeur ne doit en aucun cas réagir comme une proie pour ne pas être confondu avec elle par le requin.
Certains requins peuvent, en fonction des interactions adopter plusieurs attitudes au cours de la même rencontre. Ils peuvent aussi être dominants un jour, et craintifs le lendemain !
TROIS TYPES D’APPROCHES
Parmi les approches observées, il existe aujourd’hui des milliers de comportements différents car ils sont multifactoriels. Il faut prendre en compte l’espèce du requin, la profondeur, l’expérience des plongeurs, les attitudes du requin, …etc. Grâce à l’observation sous-marine il est possible de déceler trois types d’approches bien définies : L’approche craintive, l’approche passive et l’approche inquisitrice.
L’observation de ces trois types d’approches, permet d’affirmer qu’il existe des « systématiques » liées au comportement du requin, à celui du plongeur, à la zone et à l’espace d’évolution de chacun. Répétons-le, une équation multifactorielle complexe déterminera l’approche du requin sur le plongeur, ce qui explique qu’il n’existe pas de règle déterminée.
À travers ces systématiques, présentes dans les trois grands groupes d’approches, nous retrouverons toujours successivement : le passage, l’approche latérale, l’approche frontale, l’approche croisée, l’approche « angle mort », l’approche verticale, la patrouille, le face à face et la ronde inquisitrice. Il en existe probablement des centaines d’autres, mais les plus communément observées par les plongeurs avec la trentaine d’espèces observables sont celles-ci.
Les requins sont tellement différents, il existe une telle de diversité d’attitudes, de comportements et de modes de vie qu’on peut certes se contenter de dire « j’ai vu un requin ». Mais il y a mieux. Si on met toutes les chances de son côté, on aura un jour la joie de pouvoir dire « j’ai plongé avec un requin ».
Dans un prochaine article, Steven abordera les règles de l’interaction requin – plongeur.
Steven Surina
Steven Surina est moniteur de plongée en mer Rouge. À ce titre, depuis une décennie, il accompagne les croisières le long des côtes égyptiennes, soudanaises et érythréennes. Il a travaillé en partenariat avec la maison d’édition italienne “Magenes Editoriale” sur le projet d’un recueil de sites de plongées sur toute la mer Rouge égyptienne en tant qu’auteur et illustrateur. Il rédige un mémoire sur le comportement des requins océaniques en 2008 et fait distribuer dans les écoles égyptiennes des fascicules interactifs sur la protection et la préservation des requins.
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C’est lui que nous devons mettre dans son aquarium avec ses statues…