Débats passionnés, engueulades musclées, le shark feeding est un de ces sujets qu’il vaut mieux éviter si l’on veut passer une bonne soirée… Conscient que la une de ce Mag pourrait déclencher les passions, voire les foudres de certains, nous avons enquêté et souhaitons tenter de mieux vous informer sur cette pratique…
Pour mémoire, le shark finning est cette pêche cruelle qui consiste à rejeter le requin le plus souvent encore vif à la mer après avoir exclusivement prélevé ses ailerons.
Une logique économique
Le tourisme de la plongée est une source de revenus importante pour les Bahamas, le Honduras et Palau, pour ne citer qu’eux, et les requins sont en général une attraction considérable pour les plongeurs. En Australie, des chercheurs de la James Cook University ont estimé qu’un requin gris de récif rapportait 3.300 dollars par an à l’industrie touristique des Maldives. Comparés aux 32 dollars que toucherait un pêcheur s’il vendait ce même requin mort, le calcul est vite fait. Tout d’abord réticents, les pêcheurs des Maldives ont rapidement compris l’avantage de la pêche durable, d’autant que des aides financières ont permis de soutenir leurs efforts. Les Bahamas réalisent aujourd’hui plus de 80 millions de dollars par an grâce à la plongée-requin…
La pêche au gros et le nourrissage des requins sont un tel marché économique que des sociétés commercialisent des appâts en boîtes où tout est prêt : il ne reste plus qu’à décongeler et à immerger…
Ecotourisme : impact sur les requins
Un requin a plus de valeur vivant que mort pour les professionnels du tourisme qui organisent des plongées permettant de les observer grâce au nourrissage. Concrètement, cela a-t-il un impact sur le comportement des squales? Les animaux pourraient en effet avoir tendance à rester sur la zone de plongée, où ils sont assurés de trouver leur nourriture.
Le Docteur Johann Mourier, chercheur au Centre de Biologie et d’Ecologie Tropicale et Méditerranéenne, spécialiste des requins, nous donne son avis :
“Il y a clairement des changements dans le comportement des requins, mais ils ne modifient pas fondamentalement le fonctionnement de leur population. En fait, l’impact sur les animaux est lié à leur attachement à leur résidence et à leur territoire. Les populations de requins à pointes noires, par exemple, sont plus sensibles car leur zone spatiale est restreinte. Un nourrissage récurent sur un même site pourrait donc avoir des conséquences à long terme sur eux. Par contre, les comportements des espèces plus migrantes, comme les requins tigres et citrons qui, ayant moins d’interactions régulières puisqu’ils bougent davantage et sortent continuellement de la zone d’impact, ne seront guère influencés. Le nourrissage restera ponctuel pour eux.
Si l’activité est bien gérée et j’insiste, si elle est bien gérée, il n’y a pas de risques majeurs pour l’homme. Il faut savoir que quand on parle de nourriture il ne s’agit que de très petites quantités, insignifiantes. En général, sur l’ensemble, un requin n’ingérera qu’une tête de poisson par plongée. Peut-on alors parler de conditionnement? Je pense que oui, mais d’une manière toute relative, car en dehors des heures de nourrissage, les requins retrouvent leur activité normale.”
L’exemple de Mike Neumann aux îles Fidji
A l’arrivée de Mike Neumann à Pacific Harbour, il y a plusieurs années, le constat était alarmant. Le récif était vide de poissons, avec pour unique responsable de ce désastre écologique et économique, la pêche. Mike proposa alors un partenariat au chef de village. Les façades maritimes appartiennent en effet aux villages. Mike s’engagea à louer le récif contre rémunération et en échange les habitants s’engageaient de leur côté à ne plus pêcher sur cette partie du récif, qui deviendrait un espace protégé et, donc, une réserve maritime.
A l’époque, Mike avait pour ambition de créer un centre de plongée où il emploierait les gens du village et formerait les plus jeunes. Et il appliqua la loi tribale dans son entreprise. Rusi et Manasa sont ainsi devenus les acteurs de cet incroyable spectacle. Ils sont les seuls à nourrir les requins et le fait de le faire à la main leur permet de maîtriser la tension et l’activité des squales. Les jours où les requins sont trop nerveux, par exemple, ils arrêtent de les nourrir. Et aujourd’hui, force est de constater que le récif regorge de vie. Les touristes affluent, pour le plus grand plaisir des habitants du village qui ont bien compris l’intérêt d’un tel développement.
L’exemple de Playa del Carmen
Là aussi, le tourisme a modifié les mentalités. Il y a dix ans, on pêchait les requins, et plus particulièrement les requins bulldogs, à Playa del Carmen. Mais en quelques années, ce spot est devenu incontournable pour les plongeurs qui souhaitent découvrir cet animal dans son milieu naturel. Il est désormais respecté.
Certains centres de plongée pratiquent le feeding. D’autres n’ont pas recours à cette technique. Question sans réponse à ce jour : les seconds ne bénéficient-ils pas aussi de la pratique des premiers?
L’avis de Steven Surina, qui pratique le feeding
“Dans des circonstances idéales d’observation le feeding n’est pas nécessaire ou fondamental, cependant il est parfois la seule et unique manière d’observer les requins de près ! De ce point de vue, il est intéressant à double titre. Il permet et observation et éducation. Et le contact avec tout groupe d’animaux augmente notablement la sensibilité à cet animal.
Le nourrissage est pratiquement la seule opportunité d’observer des espèces rares ou en voie d’extinction, tout en sensibilisant fortement les plongeurs à leur disparition et à la destruction de leur habitat, pour ne citer que ces deux aspects-là. Depuis plus de 30 ans, l’industrie de la plongée a imaginé différentes techniques de nourrissage pour attirer les requins. Certaines méthodes n’ont d’autre intérêt que de générer un spectacle, alors que d’autres s’avèrent instructives. D’une manière générale, je pense que le nourrissage, ou feeding, comme disent les Anglo-Saxons, devrait toujours avoir un rôle éducatif, sinon il ne présente aucun autre intérêt qu’économique”.
Techniques et méthodes
- Le Chumming, broumégeage en Français, consiste à créer un courant d’odeurs, appelé “chum line”. L’objectif est que le requin perçoive une concentration de senteurs qui séduira ses sens et lui permettra de remonter le flux jusqu’à sa source. L’amorçage, dit “chum”, peut être constitué de très petits morceaux ou de concentré de poisson en huile, par exemple. Avec le “chumming”, le requin n’est pas nourri. Il choisit de lui-même de remonter le flux, de rester ou de partir. C’est une étape courante quand on pratique la pêche. L’homme perpétue seulement des techniques ancestrales utilisées par les paisibles pêcheurs de goujon en rivière comme par les sportifs pour la pêche au gros !
- Le Baiting, amorçage en Français, consiste aussi à produire un courant d’odeurs, “chum line” en Anglais, grâce à des fluides et des particules de poisson filtrés à travers un contenant, la “bait box” en Anglais. Cette boite perforée contient du poisson et reste fermée pour que le requin ne puisse pas s’emparer des morceaux et s’en nourrir. Il décide donc librement de prolonger son investigation ou de partir quand cette boîte hermétique ne l’intéresse plus. Cette méthode semble acceptable, le plongeur restant à distance et ne se mettant pas dans le sens du courant. En effet, le requin nage à contre-courant vers la boite. Il réagit de la même façon que s’il trouvait une carcasse dans l’océan. Bien qu’artificielle, cette technique permet d’observer le requin de façon naturelle et dès qu’il se désintéresse de la boîte, il reprend ses occupations habituelles…
- Le Feeding, nourrissage en Français, consiste à nourrir directement les requins. Ce terme de “nourrir” demande à être nuancé car en dépit des chapelles et des idées reçues, un animal de plusieurs dizaines, voire de centaines de kilos, ne saurait se nourrir de quelques déchets ni d’arêtes de poisson, d’autant plus que les squales viennent en nombre sur la zone de nourrissage.
Autres pistes de réflexion…
Aux Maldives, aujourd’hui, à la tombée de la nuit, la plupart des bateaux de croisière plongée sont équipés de projecteurs afin d’attirer le plancton pour faire venir les mantas. Tout le monde trouve cela merveilleux… mais n’est-ce pas aussi du feeding?
Plus de cent millions de requins sont pêchés chaque année. Souvent, les pêcheurs ne consomment même pas le produit de leur pêche. Ils essaient seulement de nourrir leur famille en vendant leur poisson. N’est-il pas plus intéressant de les faire bénéficier de la manne financière que représentent les touristes en leur faisant prendre conscience que les poissons, dont les requins, rapportent plus d’argent dans l’eau que dans la nasse?
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Merci Perrine pour tes encouragements! Oui j’ai essayé au maximum de faciliter l’accès à l’information et donc de simplifier au maximum la navigation. Il y aura d’ailleurs bientôt une navigation par type de poissons ;-).