La saison estivale se termine pour la plupart d’entre vous. Et comme chaque année, un certain nombre d’accidents ont émaillé les mois d’été. Nous avons demandé à Mathieu Coulange, du service de Médecine Hyperbare de l’Hôpital Sainte-Marguerite à Marseille, de nous aider à mieux comprendre ce qui mène à l’accident, et quels sont les gestes indispensables lorsque l’urgence survient.
ENVIRON 350 ACCIDENTS PAR AN EN FRANCE
« On dénombre chaque année dans le monde 1 accident pour 6 à 10 000 plongées, ce qui représente environ 350 accidents par an traités dans les centres hyperbares français. La majorité survient sur la côte méditerranéenne principalement l’été, avec une recrudescence d’accidents l’hiver, dûe à une augmentation du nombre de pratiquants durant cette période. Une étude épidémiologique récente menée sur plus de 500 accidents de plongée traités à l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille montre que l’accidenté est le plus souvent un plongeur loisir (85%), plus âgé (40 ans en moyenne) que la population de plongeurs affiliés à la Fédération Française d’Etude et de Sports Sous Marins (FFESSM). Soixante-quinze pour cent sont de sexe masculin ce qui correspond à la répartition normale dans la population de plongeurs loisirs, 10% ont déjà eu un accident de plongée. Tous les niveaux sont concernés y compris les encadrants qui représentent 1/5ème des accidentés. Vingt pour cent surviennent au cours d’une formation. L’incidence augmente avec la profondeur. Néanmoins, plus d’un tiers des accidents surviennent à moins de 30 mètres de profondeur, L’accident le plus fréquent est l’accident de désaturation (53%) suivi par le barotraumatisme grave (15%) et par l’accident cardio-vasculaire d’immersion (5%).”
DES CHIFFRES STABLES
Depuis le début de l’année, le Centre hyperbare de Sainte Marguerite, qui gère la zone située entre Martigues et la Ciotat, a reçu 62 patients, dont deux sont décédés. C’est trop bien sûr, mais le premier constat est malgré tout encourageant : le nombre d’accidents reste stable depuis plusieurs années, malgré une augmentation du nombre des pratiquants, et un vieillissement de la population des plongeurs. Deuxième constat, l’accident concerne rarement des plongeurs inconscients qui ne respecteraient pas les procédures. La réalité est plus subtile.
ADAPTER LES PLONGÉES AUX PLONGEURS
Le message de Mathieu Coulange est clair : « ce n’est pas la personne qui doit s’adapter à la plongée, mais la plongée qui doit être adaptée à chacun ». On peut plonger même si l’on est plutôt sédentaire, même âgé, mais en privilégiant les 20 premiers mètres, dans de bonnes conditions. Et à partir de 45-50 ans, il vaut mieux demander à son médecin de nous faire subir une épreuve d’effort. A l’inverse, même plus jeune, sportif et apparemment en pleine santé, il faut être attentif : ne pas plonger profond lorsqu’on reprend après plusieurs mois, ne pas multiplier les successives profondes, ne pas être en déficit d’hydratation….
LES CAISSONS SONT PLEINS DE PLONGEURS « SÉRIEUX »
Ce sont rarement de graves erreurs qui conduisent au caisson, mais plutôt le fait que les gens n’écoutent pas assez leurs impressions. A posteriori, beaucoup d’accidentés reconnaissent qu’ils « la sentaient mal, cette plongée… » Fatigués, pas à l’aise, souvent soucieux de ne pas pénaliser les autres membres du groupe en diminuant par exemple la profondeur prévue. On est loin de l’image de la tête brûlée qui finit au caisson. Un peu à contre-cœur, ils y vont quand même, et c’est là que l’accident survient. Pas parce qu’on a fait une bêtise : « d’ailleurs, constate le médecin, maintenant que l’on a accès à toutes les infos de la plongée avec les ordinateurs, on voit bien que les plongeurs ne mentent pas et ne cherchent pas à minimiser leur profil de plongée. »
PRENDRE EN COMPTE LA GLOBALITÉ DE SON ACTIVITÉ
« Les problèmes de désaturation, par exemple, explique Mathieu Coulange, c’est 50% des cas que nous avons à traiter. Et le plus souvent, si on applique les procédures, si on ne tarde pas, le plongeur récupère parfaitement. » Mais là encore, c’est l’environnement global et non pas cette unique plongée qui va avoir des conséquences. Si dans les jours précédents le plongeur a tiré sur la corde, multiplié par exemple les successives, la récupération sera beaucoup plus compliquée. « C’est souvent là que le bât blesse. Respecter ce qui est écrit sur l’ordinateur ne suffit pas toujours, il faut prendre en compte la globalité de son activité.”
PRIVILÉGIER DES CONDITIONS « CONFORTABLES »
Poumons et oreille interne sont les grandes victimes des barotraumatismes, qui représentent environ 20% des accidents. Les surpressions pulmonaires graves sont heureusement rares, mais elles peuvent s’avérer tragiques. Ce qui pose d’ailleurs, selon Mathieu Coulange, la question du rapport bénéfice risque de certaines pratiques : « 70% des surpressions pulmonaires, explique-t-il, arrivent en formation ; on peut alors se poser la question de savoir s’il faut conserver certains exercices, comme la RSE… » Enfin, ce que l’on appelle l’œdème pulmonaire d’immersion, parfois confondu avec la surpression pulmonaire, peut également être un accident grave. Il s’agit d’un phénomène de décompensation cardiaque, qui a pour effet de libérer du liquide dans les alvéoles. Le poumon se noie progressivement. Et là encore, privilégier des conditions de pratique simples, en diminuant au maximum l’effort, le froid, l’inconfort, constitue une prévention de l’accident, particulièrement chez un sédentaire.
REMONTER AU MOINDRE INCIDENT
10 à 15% des patients traités ont eu, au cours de la plongée, un incident à gérer : petit essoufflement au fond, problème d’alimentation en air, crampe… « Au moindre incident, il faut interrompre la plongée, ou en tout cas la ramener à quelque chose de plus sécurisant, remonter par exemple dans la zone des 20 mètres si l’on était plus profond. » S’acharner, faire comme si rien ne s’était passé, c‘est bien souvent risquer l’accident. Il faut également être particulièrement attentif à la gestion de l’air : les noyades sur panne d’air restent une cause de décès.
NE PAS AVOIR PEUR D’ALERTER
Et si toutefois l’incident survient, le praticien insiste : « il ne faut surtout pas avoir peur d’alerter pour rien, je préfère cela à une prise en charge tardive. C’est d’ailleurs bien rarement le cas, continue-t-il, et même un incident mineur doit être traité ». La vitesse de réaction est importante : plus on arrive tôt au caisson, plus le traitement sera court et efficace. Toute fatigue inhabituelle, tout signe anormal persistant doit pousser à alerter sans délai le CROSS. Qui se mettra directement en contact avec un service hyperbare, et vous indiquera la marche à suivre. « Je fais d’ailleurs pleinement confiance aux moniteurs, insiste Mathieu, qui savent réagir quand l’un de leurs clients présente des signes inquiétants. Mais c’est pour eux qu’ils doivent encore évoluer : un accident sur cinq concerne un encadrant, et ils hésitent souvent, ils minimisent, par peur de devoir interrompre leur saison. Mais nous sommes bien conscients qu’ils ont des obligations, et notre but est toujours de les laisser retourner à l’eau le plus vite possible. »
LA QUALITÉ DU MESSAGE D’ALERTE
La qualité du message d’alerte, et des premières informations transmises aux professionnels de santé, est également primordiale. Le code du sport prévoit l’utilisation d’une fiche qui comporte un certain nombre d’éléments à renseigner. « Mais elle reste encore, explique Mathieu Coulange, dans la panique, bien peu utilisée » : à peine 10% des dossiers contiennent la fameuse fiche d’évacuation plongeur. La partie « caractéristique de la plongée » est correctement remplie (100%) en dehors des items concernant les vitesses de remontée. Les parties « signes observés » et « premiers soins » sont également systématiquement renseignées avec des données pertinentes, mais la partie « intervention médicale » n’est jamais remplie. « Cette fiche pourrait être optimisée en remplaçant la partie « intervention médicale » par une partie « message d’alerte » quasi identique à la fiche de prise d’alerte du Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage (CROSS) afin de faciliter la procédure. »
Ci-dessous, un exemple d’évolution de la fiche d’alerte, proposée par la Société Médicale Méditerranéenne d’Urgence Maritime…
HYDRATATION ET OXYGÈNE
C’est déjà une réalité lorsque tout se passe bien, mais l’hydratation devient primordiale dès qu’il y a suspicion d’accident. « De manière générale, explique Mathieu, on conseille de compenser chaque heure de plongée par une réhydratation avec au minimum un demi-litre d’eau ». En cas de problème, c’est l’un des premiers gestes : faire boire abondamment la personne. Et la mettre sous oxygène de manière quasi-immédiate. « Cela soulève le problème des plongeurs individuels, admet Matthieu, pour qui l’accès à l’oxygène médical peut être compliqué. En mode dégradé, je préfère qu’ils utilisent alors de l’oxygène plongée plutôt que rien du tout ». De ces deux premiers gestes dépend souvent la qualité de la récupération. Ensuite, que vous appeliez le CROSS en mer ou que vous appeliez le SAMU parce que vous êtes à terre, l’un comme l’autre prendront immédiatement contact avec un médecin spécialisé qui sera à même de vous guider.
DES ACCIDENTS NOUVEAUX
Si le nombre d’accidents est stable, Mathieu Coulange voit arriver au caisson des profils nouveaux : des plongeurs aguerris, qui ont décidé par exemple d’utiliser du Nitrox, ou de plonger en recycleur. Mais qui au lieu de s’en servir pour effectuer les mêmes plongées qu’avant en augmentant leur sécurité, vont s’en servir pour « pousser » leurs explorations. Sans avoir forcément toute l’expérience nécessaire et avoir été suffisamment formés. En résumé, une fois encore, bon sens et humilité peuvent permettre de minimiser les risques. Sans pour autant les annuler. Mais au moindre doute, parlez ! Ne laissez pas un incident de plongée se transformer en catastrophe parce que vous n’aurez pas voulu « emmerder le monde » : les équipes des centres hyperbares ne sont là ni pour vous juger ni pour vous punir. Et le plus souvent, ce sont des plongeurs, comme vous !
MATHIEU COULANGE
Mathieu Coulange exerce dans le Service de Médecine Hyperbare des Hôpitaux de Marseille, il est diplômé en médecine d’urgence et en médecine du sport, docteur en science en “physiologie intégrée en conditions extrêmes”, membre du bureau de la Société de Physiologie et de Médecine Subaquatique et Hyperbare en Langue Française, co-fondateur de la Société Médicale Méditerranéenne d’Urgence Maritime, expert près la cour d’appel d’Aix en Provence, plongeur pompier opérationnel et médecin capitaine au Centre National de Plongée de la Sécurité Civile. Il participe aux formations et aux recyclages des plongeurs et des médecins de plongée, et médicalise des stages de survie. Il est co-auteur de l’ouvrage « Sécurisez votre plongée » et coordonnateur associé du traité « physiologie et médecine de la plongée » aux éditions ellipses.
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Bravo, parce qu’ils ont “de la misère”, selon l’expression locale !