Par les temps qui courent, il est certain que nous autres, plongeurs, pourrions être montrés du doigt pour certaines pratiques. En effet, à l’heure où les pôles fondent à la vitesse grand V, que les forêts partent en fumée et que les océans se stérilisent : tout cet environnement crie stop à la croissance folle. Pourtant nous autres plongeurs-loisir comme professionnels sommes amoureux de la nature, nostalgiques des aventures de Cousteau et d’un romantisme éperdu à l’égard du grand bleu. Paradoxe ultime : l’industrie de la plongée fonctionne uniquement sur la croissance et la productivité.
Pour réussir, il faut vendre un maximum de voyages, faire le plus de certifications, créer et fabriquer du matériel toujours plus léger, plus performant… Et que dire de nos grands explorateurs ou biologistes marins qui partent à l’autre bout de la planète en transportant des containers entiers de matériel ? La plongée, on ne peut le nier, a pour principal moteur, la consommation ; même si c’était pour nous, aux tous débuts, un loisir et un moyen d’explorer un nouveau monde. Nous ne cherchons pas à pointer du doigt certaines personnes ou entreprises : nous sommes nous-même acteurs de cette problématique ; toutefois, nous espérons ouvrir le débat au travers de cet article car ces questions méritent d’être posées. N’est-il pas important de réfléchir à l’impact environnemental de notre activité ? De repenser notre manière de consommer ?
L’éco-tourisme
Depuis plusieurs années, de nombreux prestataires courent après le “label green”. Il convient de se faire remarquer pour ses “Bonnes Actions”, et pour être béatifié par telle ou telle ONG. Et voilà comment, d’un coup de baguette magique, grâce au doux mot magique de “marketing”, on oublie bien vite le bilan carbone de son vol en avion, de ces trajets en bateaux ou encore la facture du fioul du bateau de croisière.
Rassurés par votre achat dans une agence de voyage “écolo”, vous vous tapez sur l’épaule, pas peu fiers : vous voilà écologistes, puisqu’on vous le dit ! Actuellement, nous plongeons en plein “greenwashing”, un terme de marketing inventé par les hôteliers des années soixante. Vous l’avez probablement déjà remarquée, cette petite notice d’hôtel qui vous demande d’apporter votre serviette “pour sauver la planète”…
Alors qu’il s’agit en réalité d’un habile subterfuge pour faire de grandes économies de buanderie ! Le truc connu un franc succès et fut repris à toutes les sauces pour donner bonne conscience aux clients…
Malgré la période estivale qui est propre aux excès, ne nous égarons pas. L’éco-tourisme, le vrai, existe bel et bien et occupe même une place d’importance. Une alternative qui souvent permet aux populations locales de disposer d’ une source de revenus plus propre. Ainsi par exemple, aux Philippines, à Oslob, les pêcheurs locaux s’adonnaient autrefois hâtivement à la pêche aux requins baleine. De nos jours, tout massacre de ces animaux désormais sacrés serait mal vu. Si ces requins sont en effet une mine d’or pour la région et que ces animaux subissent une grosse pression touristique, il faut admettre que les Philippins dans cette région autrefois très pauvre bénéficient désormais d’infrastructures prometteuses et d’un avenir diffèrent pour les générations futures. Certes, nous sommes loin du scénario idyllique et romanesque de l’éco-tourisme mais c’est aussi cela la réalité du terrain, n’en déplaise à certains.
La base de l’éco-tourisme, il faut le rappeler, c’est effectivement celà : distribuer les richesses du tourisme en direction des acteurs locaux plutôt que de faire la fortune de grands groupes hôteliers. Quel meilleur moyen pour voyager que les homestay chez l’habitant ? Ainsi, vous serez sûrs de ne pas découvrir de notice de buanderie ; et les cultures diverses n’auront plus aucun secret pour vous.
Il existe aussi un autre tourisme souvent promu par le biais d’association, les sciences participatives, ce type de tourisme à des retombés directs pour le vivant tout aussi bénéfique pour les communauté locales.
Voyage, voyage…
Nous ne vous apprenons rien : Se prétendre “écolo” tout en prenant l’avion à tout va est l’une de nos plus belles contradictions. Nous rêvons tous de tremper nos palmes vers des destinations aux sables chauds et blancs. Il existe pourtant de nos jours pas mal d’ONG qui permettent de calculer le bilan carbone de nos vols. Certaines d’entre elles vous donnent même la possibilité incroyable de faire une donation pour une action de développement durable qui “compenserait” l’émission carbone : un tout petit geste mais qui pourrait faire la différence.
Mais, comme dit le proverbe anglais : peut-être est-il temps de voir l’éléphant dans la pièce ? Si l’on en croit les “dire et faire” au pays de Greta Thunberg par exemple, prendre l’avion est très mal perçu. Sur les réseaux sociaux, les suédois n’hésitent pas dans leur entourage à pratiquer “le shaming” de ceux qui rêvent de partir sous le soleil. Peut-être devrions nous nous rabattre sur le tourisme de proximité ? Et si cela devait s’avérer être le cas, qu’adviendrait-il de destinations “écotouristiques”, comme Oslob par exemple, qui dépendent entièrement des capitaux étrangers ? Serait-ce la fin pour eux d’un eldorado ? Voilà peut-être une nouvelle bonne raison de créer plus de Parcs Marins de par chez nous…
En parlant de voyage, comment ne pas évoquer ces agences éducatives internationales, il faut l’avouer souvent aidées une fois encore à grands coups de « greenwashing » qui se redorent le blason malgré leur business model qui vise souvent les “milléniaux de la génération Y” en leur vendant une carrière toute faite de moniteur à l’étranger ? Ici on parle de travel culture, de mode de vie «nomade»… Le voyage décomplexé dans toute sa beauté ; style de vie arrangeant, client parfait, qui n’arrête jamais de consommer. C’est toujours ce modèle qui est mis en cause. Pourtant, dans notre industrie comme dans toutes les autres, il est urgent de le remettre en question.
30 millions d’amis
Parole de plongeurs : nous sommes les défenseurs du monde subaquatique ! Nous, les animaux, on les connaît. Après tout, et c’est de notoriété publique depuis que le brave commandant au bonnet rouge nous a ouvert le monde du silence, nous sommes les témoins de cette vraie tragédie gréco-romaine : nous vivons au plus près la disparition du vivant. Tels des passagers fantômes du Titanic en perdition nous sonnons la corne de brume pour alerter l’opinion.
Mais nous nous effaçons aussi au moment crucial, quand le vivant a besoin de nous, ce qui est le cas par exemple à la Réunion. Face à une poignée d’irréductibles, nous laissons faire dans l’indifférence la plus totale le massacre des requins. Des bouées munies d’appâts ont été posées jusque devant certains sites de plongée ! Où sont donc nos braves associations pour lever leurs étendards ? L’île, pourtant, ne manque pas de célèbres photographes ; quelle tristesse pour cet art qui désormais se limite strictement à glorifier les belles rencontres sous-marines… Pourtant rien de mieux que des photos pour illustrer une problématique ; encore plus efficace quand on a réussi à capter l’attention au travers de récompenses honorifiques.
C’est tellement plus facile de mourir de ses contradictions que de les vivre…
Albert Camus
Next Gen ?
La next gen elle est là ? Hélas non, et il n’est pas question de 5 G ou du dernier tel portable asiatique. . Il faut reconnaître que cet univers impitoyable subaquatique n’est plus en vogue, la population est vieillissante et boudée par la jeunesse sauf peut-être pour l’apnée. Il se ressemblent tous : ils sont “in”, jeunesse oblige, jean délavé, fausse ou vraie barbe d’aventurier mais surtout, ils ont oublié le principal : le vivant et l’humain !
Heureusement que d’autres se démarquent au travers de la science. Mais pour la plupart, l’existence consiste à vendre leur propre personne ou bien encore des bulles de rêve pour porter l’imagination, comme si nous devions oublier la réalité. Ils sont totalement symptomatiques de la problématique et de l’enjeu : la consommation !
Témoignage
L’été dernier Le directeur d’un centre c’est confié à moi, il avait décidé de claquer la porte du centre en question a la fin de la saison. Après 7 ans d’activité, décu, ce n’était pas les valeurs qu’il attendait, ci dessous son témoignage:
Je te confirme qu’aujourd’hui certain acteur du business de la plongée sont prêt à tout pour faire plus d’argent. Emmener 60 plongeurs la même matinée sur le même site pour optimiser la rentabilité, ne pas embaucher (au risque de négliger la sécurité) et obliger son staff à supporter une sécu pour 4 bateaux sur le même site, organiser des séances photos sous-marines avec des décors en plastique pour facturer une prestation VIP. (Décor qui restera ensuite sous l’eau pour le plaisir de la faune et flore sous-marine).
J’ai participé à cela pendant 7 ans. Pendant 7 ans j’ai vu des clients qui voulaient consommer. Consommer de la profondeur, consommer du matériel, consommer du gaz, consommer de la carte de niveau et consommer du selfie.
Ma vie de moniteur fut bouleversée quand j’ai vu un jour un chef de centre qui voulait faire consommer de la connaissance et des compétences à ses clients. En gros si tu n’as pas le niveau et que tu ne veux rien apprendre je te rembourse et tu peux partir… OUF…
Le mot de la fin
Nous pourrions aussi parler des fabricants de matériel. Il y aurait tant de choses à dire là-dessus, peut être le moteur principal du monde de la “plongée fast food” auquel nous sommes confrontés. Mais il est temps de conclure cet article qui j’en suis sûr en fera glousser plus d’un, générant toutes sortes de commentaires. Mais devons-nous vraiment attendre que Greta Thunberg vienne nous tirer les oreilles comme de mauvais élèves ?
En attendant, nous sortons à peine des grandes fêtes de la consommation, largement arrosée d’apéros pour fêter cela comme tous les ans. Bientôt, à l’occasion du plus gros regroupement de plongeurs dans Paris, des kilomètres de plastiques seront épluchés des rouleaux de moquettes et mis à la poubelle ; des tonnes de produits seront transportés et, cerise sur le gâteau, un peu partout des mégots de cigarette finiront leur course dans les caniveaux et inévitablement dans la mer…
Au final, je repense à cette poignée d’irréductibles, à La Réunion pour ne pas les nommer, qui justifient l’abattage de plusieurs espèces de requins au nom de leur sport, de leur passion… Mais notre comportement de plongeur est-il si différent ? Si nous continuons dans cette direction sans nous poser de questions, sans repenser la consommation de la plongée, où allons-nous ?
Nous espérons que cet article vous a interpellé, peut être pour certains d’entre vous, il vous fera réagir, nous l’espérons. Certaines problématiques sont compliquées, c’est sûr, nous en sommes nous même acteur et coupable à de nombreux niveaux, mais en aucun cas les choses ne pourront aller mieux sans ouverture d’esprit.
Article de Christophe Chellapermal
11 commentaires
Je suis d’accord sur tout, et je me pose aussi ce genre de questions… depuis que j’ai plongé à Oslob !
Merc iRobin tu n’as pas idée à qu elle point ton message me fait plaisir je ne te cache pas que je suis nerveux de partager cet article demain. Ce sont des problématique très complexe surtout pour oslob..
Je partage ce questionnement et même quand je plonge du bord (pour éviter les bateaux, etc. ) je me dis que là encore nous pourrions faire mieux… Nous sommes dans des paradoxes avec lesquels je m’étais déjà débattu quand je faisais des courses en montagne où j’ai dû croiser des autoroutes de nouveaux randonneurs…
La massification de la plongée est un réel soucis mais individuellement la majorité des plongeurs cherche le meilleur spot, le meilleur… Tout cela s’additionne mais qui paye l’addition au final…
Pourtant moi non plus je n’ai pas envie de raccrocher ma combi demain..
Bonjour, Il n est pas question de raccrocher les combis mais d’ouvrir un débat ou bien ne serait ce que les lecteurs prennent conscience de la réalité..
Article très intéressant surtout en ce moment et surtout d’actualité.
Bravo Christophe ! Article très bien écrit et qui pose les bonnes questions… Je ne suis pas plongeur mais j’accueille de nombreux plongeurs chez moi. Je vais faire suivre… Salut à Robin au passage que j’ai accueilli plusieurs fois chez moi. Marié à une Philippine, je confirme la volonté des autorités philippines à vouloir changer notre mode de vie, rude tâche pour ce pays…
Merci Daniel a bientot j’espere!
A peu près d’accord sur tout, mais les auteurs auraient pu se passer de citer ce gros connard de Cousteau, qu’elle qu’en fut la raison, bonne ou mauvaise…
moniteur de plongée depuis les années 90 (en retraite maintenant) j’en ai vu défiler des “con”sommateurs de plongée , mais aussi quelques passionnés .je plonge toujours avec le meme materiel qu’à mes debut (pourquoi changer puisque ça fonctionne)et quand je voyage j’essaie d’amortir le voyage en passant plusieurs semaines sur place voire plusieurs mois (directement chez l’habitant si possible) . je sais que je ne suis pas un bon client pour l’industrie de la plongée mais mon “empreinte carbone”(terme qui ne veut rien dire puisque le carbone est nécessaire à la vie, n’en deplaise à la petite emmerdeuse) est la moindre possible . bravo quand même pour esayer de faire prendre conscience à certains
Merci, c’est important de pouvoir identifier les emmerdeurs/ses pour pouvoir les garder loin! Blague à part vous êtes déjà plus consciencieux que de nombreuses personnes
Merci pour cet appel à réagir et contreverser. La “protection de l’environnement” se focalise sur les GES, et il suffit qu’un(e) bien-pesant(e) crie assez fort pour qu’une cible soit désignée… L’avion représente moins de 5% des émissions de GES. A comparer au transport maritime et routier… Et quand on passe une semaine sur un bateau en polyester-carbone, avec des voiles et vêtements en fibres techniques, avec un équipage à nourrir, je ne suis pas convaincu que l’impact environnemental total soit moindre qu’un aller-retour en transport en commun (ce qu’est un avion). Mais bon, la mode passera.
L’important, à mon avis, est que les plongeurs en tant que communauté se fassent entendre pour que le lieu et l’objet même de leur activité soient préservés. Et pas seulement au coin de la rue. L’apport économique de la plongée et son impact positif sur le développement local est avéré partout ; et néanmoins il faut aussi savoir admettre les limites supportables par la nature. C’est en agissant pour une meilleure répartition des activités, en laissant les milieux se reposer et se renforcer que nous pourrons montrer que nos actions sont aussi forts que nos mots.
Plongeurs du monde unissez-vous !