Pas de plongée possible sans une bonne étanchéité !
Définition
Concept fondamental qui fait la différence entre une plongée réussie (avec nos précieux équipements audiovisuels et nos testicules bien au sec) et la banale plongée foirée, grelottant et au bord de la noyade…
Synonymes
Sec | Waterproof |
Entrée
Par définition, la plongée se pratique sous l’eau si bien qu’en tant que bipède terrien on est à minima mouillé et en tout cas pas étanche. Ce qui n’est pas forcément grave pour un corps humain nu, au contraire des équipements nécessaires pour pénétrer et évoluer sous l’eau… Toute l’habileté des premiers plongeurs a justement consisté à faire fabriquer des équipements étanches. Citons les cloches à plongée et autres tonneaux de Leathbridge, les premiers scaphandres pieds-lourds et leurs successeurs, autres enveloppes plus ou moins rigides.
Car, en plongée, tout doit être étanche ou presque : les montres et leurs successeurs digitaux, les lampes, les batteries, les caméras et appareil photo, les bouteilles de gaz (dans les deux sens), les propulseurs sous-marins et jusqu’aux vêtements (secs)
Rien n’est plus difficile que de rendre étanche à l’eau une enceinte fermée et au fil des temps, les solutions les plus diverses voire farfelues ont été employées : manchons en cuir huilés, filasses et fibres diverses graissées, étoupe (d’où le “presse étoupe”), feutre, bitume, joints plats serrés à mort, plus ou moins élaborés puis caoutchouc naturel devenu synthétique, polymères et élastomères de synthèse, silicones… Et le pire est que cela fonctionnait ! Yves Omer dont nous racontions certaines des aventures ici aurait beaucoup à raconter sur les astuces utilisées pour étanchéiser la bulle de vie Précontinent 3 à l’époque où les joints toriques n’existaient pas…
La lutte contre les entrées d’eau dans le matériel destiné à la plongée est une véritable saga. Les premières caméras par exemple (construites par Dimitri Rebikoff pour ne citer que lui), une fois chargées et fermées, étaient gonflées avec une pompe à vélo ce qui maintenait dans l’enceinte étanche une pression positive. Ainsi, en cas de fuite, c’était l’air qui sortait en bulles avant que l’eau ne rentre, avertissant ainsi le plongeur et lui permettant de remonter avant la catastrophe…
Plat
L’ami Heuzey qui a filmé avec moi les premiers épisodes de l’émission Carnets de plongée utilisait un massif caisson cylindrique contenant les premières Betacam’s, caméra professionnelles numériques qui étaient une avancée majeure par rapport aux anciennes technologies “argentiques” mais restaient lourdes, volumineuses, sans parler du prix (on était encore très loin des “GoPro”). C’est ainsi que, dans l’espoir de protéger son investissement, je l’ai surpris souvent, bourrant son caisson d’éponges à vaisselle !
Il faudrait un livre pour raconter les plus belles aventures de prélèvement d’eau par un matériel en principe prévu pour le contraire. Tous les plongeurs ont eu à en pâtir. Mais s’il me fallait n’en retenir qu’une, ce serait sans doute cette plongée à Turks & Caïcos ou aux îles Vierges à moins que ce ne soit à Antigua, en tous cas dans l’une de ces îles à cocotiers, plages de rêve et filles faciles…
Mon caisson !
J’ai déjà abordé brièvement le sujet dans l’article C comme caisson mais après tout, quand on aime on ne compte pas. Nous sortions d’une plongée récréative et ennuyeuse, trop courte, trop chaude, trop bleue, pleine de ces éponges et coraux dégueulasses des Caraïbes et de ces stupides couples de poissons-ange. Il y avait dans la palanquée un trainard aux dents blanches, équipé comme un porte avion : il ne lui manquait pas un colifichet et il ressemblait à première vue à un arbre de Noël. Un photographe ! Autrement dit, la plaie…
Il était équipé d’un caisson en métaux précieux, avec un Reflex dernière génération, motorisation, renvoi optique, objectif ultra grand angle sans déformation, dôme compensé, lampes pilotes, énormes flashs au bout de bras articulés, en forme de crustacé géant. La panoplie avait du coûter un oeil et sans doute les deux bras (sous l’eau, le type était un bras cassé…) et s’il n’était pas plaqué or, c’était l’esprit. Nous étions tous remontés attendant le photographe qui avait cette habitude détestable d’attacher le caisson à un pendeur pour remonter ensuite “le précieux” en toute sécurité…
– Tout le monde à bord ?
Le skipper voulant impressionner son monde enfonça soudainement la manette des gaz à fond pour un démarrage fulgurant digne des exhibitions “roue arrière” des motos débridées de nos banlieues. Las, le bateau retomba dans une gerbe d’écume et un grand “tacatac” de tôle froissée.
– Mon caisson !
Le bout encore lesté avait décrit un arc de cercle et le fameux caisson oublié était remonté dans l’hélice… Le type devenu tout vert moulinait des bras comme un furieux sur le bout pour enfin hisser sur le pont son dégoulinant crabe aux pinces d’or. Il reprenait d’ailleurs lentement des couleurs ayant constaté et l’annonçant joyeusement à la cantonade qu’il n’y avait qu’une goutte d’eau dans le hublot ! Je m’en voudrais toute ma vie d’avoir détrompé le malheureux en lui expliquant que manifestement ce n’était pas une goutte d’eau mais une bulle d’air…
Dessert
C’est Thomas Edison le premier qui utilisa un joint plat et rond en caoutchouc pour étanchéiser son “ampoule électrique à filament” entre le culot de métal et le bulbe en verre de l’ampoule. L’inventeur conservait ainsi le vide à l’intérieur du bulbe. Il est à noter que cette innovation riche de développements, considérée comme une simple partie accessoire, ne sera même pas déposée par ce génial industriel aux mille brevets d’inventions…
Ainsi, pour la pratique de la plongée, il fallait à l’aide d’une clé 6 pans en bronze serrer comme un sourd ces joints plats, petite rondelles de caoutchouc noir, entre la robinetterie et le détendeur pour espérer plonger sans fuite d’air. Encore que les plongeurs de l’époque étaient souvent repérés grâce à la colonne de bulles qui s’échappait de leurs bouteilles…
Restait à inventer le joint torique, comme son nom l’indique en forme de tore où la pression se répartissait uniformément sur toute la surface et renforçait même l’étanchéité. Une idée qui paraît évidente aujourd’hui, encore fallait-il l’inventer. Ce qui fut fait dès 1937 par un dessinateur industriel du nom de Nils Anton Christensen.
En 1933, c’est dans le sous-sol de sa maison qu’il teste les prototypes de ces joints d’étanchéité qui se déforment au gré de la pression pour épouser les formes des portées de joint. 4 ans d’essais – erreurs en taillant lui-même les joints à la main, au milieu des claquements secs des joints qui éclatent, en se faisant parfois taper sur les doigts jusqu’au sang… Le 2 octobre 1937, âgé de 72 ans, il dépose enfin la demande de brevet d’invention qui lui sera accordé le 21 novembre 1939 ! Etanche.
S’ensuit la Deuxième Guerre Mondiale où ces joints d’un genre nouveau furent largement utilisés pour l’armement et l’aéronautique, sans même demander l’autorisation de l’inventeur, d’ailleurs. Je tiens ces maniaques précisions du psychopathe collectionneur et néanmoins ami Philippe Rousseau dont on consultera à profit cet excellent article.
Mais il n’y avait pas que les détendeurs à étanchéiser. Les robinetteries des bouteilles étaient alors à filetage conique, ce qui impliquait que “l’étanchéité relative métal sur métal (laiton chromé sur acier ou sur aluminium) ne pouvait se réaliser que sur 1 ou 2 tours seulement”. On obtenait l’étanchéité avec de l’étoupe enroulée entre les filetages mâle et femelle, avant de serrer encore au delà du raisonnable… Il était temps de passer aux filetages cylindriques rendus étanches avec… Un joint torique ! On en connait de toutes tailles, de tous profils (certains en trèfle à quatre feuille ou en marguerite pour augmenter les tangentes de contact) et de toutes matières (caoutchouc, téflon…) pour s’adapter à toutes les conditions d’utilisation, la température, notamment.
Car ces saloperies de joints torique ne servent pas qu’à l’étanchéité en plongée. Le , lors de la mission STS-51-l, un des gros joints toriques du booster d’appoint droit de la navette spatiale Challenger n’a pas gonflé assez vite à cause du froid ambiant ce jour là, provoquant une fuite de carburant enflammé qui a atteint le support du booster jusqu’à le rompre, l’espace de quelques secondes. Le nez du booster d’appoint a frappé le réservoir central et l’a fait exploser. La navette s’est désintégrée en vol 73 secondes après le lancement. Aucun membre de l’équipage n’a survécu…
A très bientôt pour une nouvelle définition du Scuba Bécédaire. Le lexique irrévérencieux de la plongée, mais pas seulement. Parce que des fois…
Francis Le Guen
Café
Et pour les collectionneurs et autres psychopathes des montres de plongée, ces quelques joviales considérations sur l’étanchéité de vos bijoux de poignet…